L’idéologie du Dialogue fait partie de ces grandes escroqueries dont la modernité est gourmande.
1. Dans le meilleur des cas, il ne s’agit que de brassage d’air. A priori inoffensif, mais tellement vain qu’il entretient le crétinisme ambiant. Prenons un exemple. Faisons dialoguer une délégation animiste et un groupe de laïcards bien modernes :
– Vos idées sont formidables ! et nous les respectons pour ce qu’elles sont.
– Merci, mais vous n’êtes pas mal non plus ! Et vos opinions sont aussi respectables que les nôtres. En sus, j’adore votre cravate.
– J’aime aussi beaucoup votre étui pénien. Toute cette diversité culturelle, quelle beauté.
– Certes, certes. Buvons à notre santé.
– Justement, le buffet nous attend dans le salon d’à côté.
– Allons-y.
– Non, sans blague, vous êtes vraiment formidables, vous et vos coutumes !
– Mais, cher ami, les vôtres sont tout aussi formidables !
– Ah, voici nos amis de la Presse. Serrons-nous la main pour immortaliser ce Dialogue historique et fondamental.
– Hahaha. [Sourire Colgate pour la caméra]
– Dites-moi
– Oui ?
– Alors comme ça vous croyez vraiment aux esprits de la forêt, aux esprits de la rivière, tout ça ?
– Mais très certainement ! Et vous-mêmes ne croyez vraiment qu’à la stricte matérialité du monde ?
– C’est exact ! Dieu n’est qu’une superstition pour nous.
– Nous sommes vraiment des gens formidables.
– Mais oui, nous croyons tous deux en des choses fort estimables.
– Ah, revoilà nos journalistes. Tchin !
– Tchin !
– Ahahaha.
– Ahahaha.
Voilà. Concrètement, ça ne sert à rien. Ca glorifie une sorte d’humanisme cool et sympa, ça cultive le relativisme, les droits de l’homme, l’amitié entre les peuples, tout ça. Tout est également formidable. Mais ça fait partie d’une propagande bien huilée ; ce n’est pas du philanthropisme d’amateur. C’est encadré, médiatisé, subventionné. Ca sert surtout à vous faire comprendre que vos convictions d’occidental moyen ne valent pas plus que celles d’une tribu arboricole. Beethoven c’est bien, mais la kora c’est tout aussi chouette.
2. Dans un autre cas de figure, l’idéologie du Dialogue nage dans ce que j’appelle le Tourisme. C’est à dire considérer l’Autre non pour ce qu’il Est réellement, mais considérer l’Autre-pour-l’Autre. Ici, les choses sont délicates : on considère qu’Autrui a tort de ne pas partager ses propres idées, mais on ne va surtout rien faire pour changer cet état de fait. Il y va de notre capacité à tolérer l’Autre, de notre grandeur d’âme à aimer la Différence-pour-la-Différence.
L’Église Catholique moderne a assimilé ce défaut, par exemple. Je commence à comprendre pourquoi la branche lefévriste s’est révoltée contre le Dialogue avec les Juifs : l’Église n’a pas à dire aux Juifs « Vous êtes formidables ! » mais plutôt « Convertissez-vous, orgueilleux ! Le Messie est bel et bien venu ! Ouvrez vos cœurs endurcis ! » Mais un Moderne de base, un peu rustique, a vite fait de comprendre ceci : « Les catholiques n’aiment pas les Juifs, les catholiques sont antisémites. Donc les catholiques sont intolérants et racistes ». Le débat est biaisé par l’idéologie du Dialogue.
Je ne cherche pas à défendre les lefévristes – que je trouve particulièrement orgueilleux, justement – , mais à expliquer que nous n’avons pas à être les touristes d’Autrui. L’Autre n’est pas un joli paysage dans l’anthropologie mondiale villagisée ; l’Autre a parfaitement le droit d’être détrompé s’il se complait dans l’erreur ou l’obscurantisme.
Un véritable chevalier du laïcisme, s’il était cohérent, devrait dire à un musulman « Les calotins sont des obscurs et on leur a mené la vie dure, votre foi mahométane ne vaut pas mieux ; allez vous faire foutre vous et vos tchadors et vos crimes d’honneur et vos superstitions à la con sur l’impureté du porc ». Un véritable chevalier catholique devrait dire à un animiste « Tes croyances sont débiles : comment vais-je pouvoir construire une école si je ne peux pas toucher à ton arbre sacré ? Et si je coupe ton arbre, tes dieux meurent avec lui ? Ils ont la santé fragile, tes dieux ! Quant à ta polygamie, permet-moi de trouver cela particulièrement odieux pour la gent féminine ! Et ta magie est une insulte à l’intelligence rationnelle ! »
L’idéologie du Dialogue, dans cette optique, transforme le monde en parc d’attraction. « Dans cet enclos, les végétariens bouddhistes. Dans cette cage, les catholiques. Dans cet aquarium, les juifs. Ici, les orthodoxes. Là, les musulmans. Interdiction formelle de donner à manger à l’ensemble du zoo humain. »
Dans la réalité, on constate que le Dialogue laïcs-chrétiens est à la défaveur des chrétiens [« Jésus-Christ est un sombre idiot qui n’a jamais existé »], et que le Dialogue laïcs-musulmans est à la défaveur des laïcs [« Okay, vous aurez vos horaires de piscine aménagés, okay vous aurez les menus halals dans les cantines, okay on vous donne des sous pour construire vos mosquées, okay vous avez le droit de porter le voile, okay on tolère votre polygamie, okay on ne vous accusera pas de nazisme quand vous brûlerez des bibliothèques entières ; mais c’est parce que la Différence est formidable et qu’il faut encourager la coexistence des cultures »].
3. Enfin, dans un troisième temps, l’idéologie du Dialogue est une perfusion à usage de la société : on instille dans le corps socio-culturel des idées qu’il rejetterait en bloc s’il avait à les affronter brutalement. On va afficher le Dialogue comme quelque chose d’audacieux et de vachement ouvert d’esprit, et, après des années de Dialogue, on va rendre les dites idées acceptables. On aura travaillé la société lentement mais sûrement.
Exemple : Dialoguons sur l’entrée de la Turquie dans l’Europe. Dialoguons sur la reconnaissance du mariage homosexuel. Le Dialogue s’instaure parce que l’opinion est défavorable : « La Turquie n’est pas un territoire Européen », « Le mariage est une institution fondée sur la fertilité naturelle de l’hétérosexualité ». Bon, alors on dialogue, on fait des colloques, des reportages, des articles de presse, des émissions de télévision, des débats ; on fait battre tambour en place publique pour faire comprendre au fil des années que le modèle social est à l’ « Ouverture », que les « tabous » sont caducs, etc.
Et finalement, la conclusion tombe comme un chantage : « Voilà des années que nous dialoguons avec la Turquie, ce n’est pas pour leur dire NON au moment de décider de leur entrée ! » Ou encore « Nous dialoguons depuis des lustres avec les acteurs sociaux et les associations gaies, nous n’allons tout de même pas faire machine arrière et leur dire que tout cela n’a servi à rien ! »
Hop, vous voilà pris au piège du Dialogue, la trappe se referme sur vous.
mercredi 23 juillet 2008 at 6:40
C’est bien observé. L’idéologie du dialogue aboutit en fait au relativisme. Toutes les opinions, tous les points de vue se valent. Or, comme l’écrivait Chesterton : « Chaque jour, nous rencontrons quelqu’un prêt à avouer que son point de vue peut n’être pas le bon. Son point de vue doit pourtant être le bon, autrement ce ne serait pas son point de vue. »
Cette conception du dialogue est viciée et hypocrite. Pour dialoguer de manière constructive, il faut commencer par reconnaître ses différences et mettre à jour ce qui nous sépare d’autrui. Une fois qu’on est bien conscient de cela, on peut faire en sorte que ces différences ne soient pas trop conflictuelles. Un dialogue qui nie les différences engendre confusion, perplexité, frustration et au final conduit au résultat inverse de ce qui est souhaité.
mercredi 23 juillet 2008 at 8:41
Félicitations par ton nouveau blog, Pierre. Toujours Fromageplus! J’était un temps sans te lire, mais je suis de neuf en train de lire! Pouvait-tu lire mes articles? Salutations!
J.L. González-Ribera
mercredi 23 juillet 2008 at 10:35
Rhâââ! C’est la même maquette que Le Grand Charles! Je vois d’ici les attorneys de Grand Charles Inc. faire tourner leurs modèles Excel pour calculer les dommages et intérêts. Personnellement, je planquerais le fromton vite fait sur l’étagère du haut.
jeudi 24 juillet 2008 at 4:32
[…] 24, 2008 · Pas de commentaire Cet excellent post de fromage plus, qui, je l’espere, change chemises moins souvent que de blogs sinon la pauvre […]
jeudi 24 juillet 2008 at 9:16
Par ailleurs, on méconnaît généralement l’influence du facteur touristique sur la maladie multiculturelle de la France.
L’avantage de l’immigration pour le bobo, c’est le tourisme à domicile. Il n’a même plus besoin de prendre son billet de charter. Il a, au pied de chez lui, les étrangers pittoresques, leurs coutumes exotiques, leurs vêtements colorés, leur cuisine qui réveille son palais fatigué et leur grande religion monothéiste, tellement plus respectable que la sienne.
Evidemment, tout cela est vivable tant que les touristes sont en minorité. Mais le bobo n’a pas compris que les touristes sont venus sans billet retour.
jeudi 24 juillet 2008 at 10:47
> Je ne cherche pas à défendre les lefévristes – que je trouve particulièrement orgueilleux, justement
c’est également ce qui me gène le plus chez ces gens là ; tout à fait appréciables par ailleurs, ce défaut les rend parfois insupportables
jeudi 24 juillet 2008 at 11:00
Robert,
La mise en page du blog est telle que proposée par mon hébergeur [hormis la bannière] ; je vais essayer de customiser tout cela comme il se doit. Avec des jantes alliage, une peinture nacrée et un pot Ninja sous l’aileron, ça va déchirer grave.
jeudi 24 juillet 2008 at 2:43
Et mois qui pensais que c’était juste un thème parmi d’autres.
« Avec des jantes alliage, une peinture nacrée et un pot Ninja sous l’aileron, ça va déchirer grave. »
N’oubliez pas les diodes bleues sous la bagnole, qui éclairent le bitume la nuit. Ca c’est le top.
jeudi 24 juillet 2008 at 5:59
Il suffit d’accepter l’évidence que les cultures et les civilisations construisent leurs valeurs de façon parfaitement arbitraire selon leurs propres exigences, en se foutant complètement que telle ou telle autre culture puisse trouver cela sympa ou non.
Cette volonté de dialogue permanent n’est que le cache-sexe de la crainte pathologique du conflit – dans son sens large – que peut potentiellement susciter l’affirmation de soi et de ses valeurs.
jeudi 24 juillet 2008 at 8:36
[…] – J’aime aussi beaucoup votre étui pénien. Toute cette diversité culturelle, quelle beauté. (lire la suite) (via Welcome To […]
jeudi 24 juillet 2008 at 9:30
« L’homme est un touriste pour l’homme », vous l’aviez écrit il y a quelques temps.
vendredi 25 juillet 2008 at 7:39
Jose Luis,
J’ai bien reçu tes textes mais je n’ai pas encore pris le temps de les lire !
Xyr,
Oui, après la Théocratie républicaine je compte m’attaquer au fléau du Tourisme. Stay tuned.
vendredi 25 juillet 2008 at 11:06
Cher Monsieur Plus, vous avez évoqué récemment un bel exemple de mièvrerie musicale (zyva c’est chelou).
Voici bien pire: jeunisme et génération texto, attention, c’est une chanson à textes.
vendredi 25 juillet 2008 at 11:24
Ah mon Dieu, oui, je me souviens avoir déjà vu ça ! Je reste sans voix, comme dirait Daho.
samedi 26 juillet 2008 at 9:11
« l’Église n’a pas à dire aux Juifs “Vous êtes formidables !” »
Tout à fait d’accord, mais cela ne peut masquer l’existence d’une véritable hostilité aux juifs (théorisée ou atavique) de la part de certains cathos, telle que put même l’exprimer Bernanos, par exemple.
« Un véritable chevalier du laïcisme, s’il était cohérent, devrait dire à un musulman […] »
Siné ! un véritable chevalier du laïcisme…
Sinon, post édifiant, merci, F+ ; le Dialogue Moderne, c’est au moins l’échine courbée devant l’Autre. On en voit aussi une parfaite illustration dans le « dialogue » qu’instaurent certains parents avec leurs enfants. Et on en connaît le résultat désastreux.
dimanche 27 juillet 2008 at 1:22
Mais vous comptez obtenir l’AOC? Vous savez, les fromagers, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, rencontrent de réelles difficultés.
Kind Regards Dude!
MT
dimanche 27 juillet 2008 at 2:13
Mais c’est pourtant vrai que tout le monde il est beau !
(yaka taper « morsay » dans un dailymotion pour rire un peu…il cause comme mon neveu de 4 ans, c’est plutôt rigolo…)
C’est marrant parce que j’ai jamais vu le dialogue autrement qu’un échange musclé (convaincu) de points de vue (ceci n’impliquant jamais un quelconque dénigrement de la vision des interlocuteurs qui viendrait plutôt d’un refus de dialogue) qui doit avoir pour unique fin de permettre à chacun de repartir avec les arguments et idées des autres afin de pouvoir mieux aborder la remise en question de ses idées…(qui peut très bien aboutir à une consolidation plutôt qu’un revirement…).
Ce que vous décrivez plus haut c’est plutôt de la communication (à ce que j’en comprends).
Alors en fin de compte, le dialogue peut très bien aboutir à une réaffirmation des idées premières : la Turquie pas dans l’Europe, attendez 2 sec. qu’on dialogue un peu… bon, on a dialogué, la Turquie n’est définitivement pas dans l’Europe, grâce au dialogue, on en est sûr, merci.
Dialoguer pour changer d’idée… mais quelle idée (saugrenue)!
dimanche 10 août 2008 at 1:04
Sauf que pour un Juif la messianité de Jésus n’est pas refusée,elle ne fait pas sens,tout simplement.
mercredi 10 décembre 2008 at 4:57
[…] On ne saurait être plus clair. Donner lieu au débat = faire voter le texte avec une forte détermination. Vous êtes avertis : chaque fois qu’on vous consultera, qu’on vous sollicitera pour un débat, qu’on vous demandera de voter, vous serez dans le meilleur des cas méprisés et ignorés, dans le pire on vous intimera fermement de la boucler. Entre les deux, les variantes sont infinies : on vous demandera de revoter, on vous enverra en stage citoyen, on pratiquera la délation et la calomnie, ce genre de choses. Quel que soit le Débat, quel que soit le Dialogue, quel que soit le résultat des urnes, sachez qu’on se fout royalement de votre réponse. Hochez la tête, dites oui, consentez avec docilité, baissez votre froc, fourrez votre liberté de conscience au fond du placard à balai et carrez-vous la sphère privée derrière l’oreille, vous la fumerez plus tard. Faites place à Son Altesse Laïcité Première, qui aplanit les montagnes, comble les vallées, efface les genres, uniformise le cours des jours, met toutes les croyances dans le même panier, abolit les discriminations, et met 10/20 à toutes les idées du monde. Faites place à son fils le prince Débat Premier, qui par magnanimité ne vous impose rien qui ne soit soumis au vote démocratique de son exclusive personne, infiniment bonne et juste, pour votre Bien si grand que vous ne sauriez vous en soustraire sans en subir lourde affliction. Et souriez, vous êtes filmés. Mais je radote. >>> […]
dimanche 21 novembre 2010 at 6:30
Le chevalier catholique ne dit rien à l’animiste ni au mahométan, parce qu’il subodore la réciprocité des critiques et que la moindre critique l’obligerait d’ailleurs à se placer sur le terrain de la rationalité, de la probabilité empirique et de la logique.
Deux personnes ayant admis le surnaturel peuvent difficilement tirer la nappe sous le repas de leur vis à vis, sans renverser en même temps
le leur.
Et celui qui, comme moi, ne conçoit pas ce surnaturel, écoute sans comprendre. Interloqué.