Patrick Lozès à propos de la crise guadeloupéenne :
« La demande d’une plus grande justice sociale et économique formulée par les habitants des DOM rencontre la demande de toutes les minorités visibles en France. Ces minorités ne demandent pas la charité mais la justice ! »
Au même moment, Emmaüs publie un communiqué de presse :
« L’interpellation le 16 février 2009 d’un sans-papier accueilli par la communauté de Marseille Pointe-Rouge s’est transformée le 17 février 2009, en opération policière dans cette communauté. Ainsi, sur décision du parquet de Marseille une perquisition a eu lieu dans la dite communauté Emmaüs aux fins de recenser la présence d’éventuels compagnons sans papiers. Dans le même cadre, un responsable de la communauté a été mis en garde à vue.
[…]
Depuis 60 ans, Emmaüs accueille des personnes en souffrance non pas par charité, mais par solidarité, pour que ces dernières par leur travail et la vie en communauté en devenant compagnon, puissent retrouver leur dignité. »
C’est fou comme la charité fout la trouille aux progressistes. Les premiers parce qu’une justice conçue sans charité permet de légiférer sur n’importe quoi au mépris du bon sens, à commencer par la reconnaissance qu’on doit témoigner aux gens qui se cassent le cul pour les autres. Le statut de minorité autorise ainsi une considération particulière, et même supérieure au statut de la majorité – sans oublier qu’une minorité, selon Lozès, ne se mesure pas selon une vérité arithmétique, mais selon une charge idéologique [voir ma note d’hier], ce qui nous fait évacuer toute intelligence au profit de l’émotivité plus ou moins tribale [ultracommunautaire] et plus ou moins vindicative.
La charité fout la trouille aux seconds parce qu’ils ont assimilé le Progrès pour tout chemin vers le Salut, les Droits de l’homme pour tout Décalogue, la Tolérance pour tout Évangile, les Citoyens du Monde pour tout Enfants de Dieu, la nationalité française pour tout baptême et toute dignité. J’exagère à peine. Or la charité ne dispense pas de respecter les us, les coutumes, les nationalités, les législations locales, les lois internationales, etc. Seules les théocraties confondent les châtiments d’ordre divin et les châtiments d’ordre terrestre. Le défaut des progressistes, c’est de prendre l’Internationale des Gentils Sans Frontières pour l’avènement du règne de Dieu. L’existence des frontières est une injustice, donc un péché. La charité fout la trouille parce qu’elle n’oblige pas seulement à regarder en bas, mais aussi vers le haut. Elle exhorte à agir librement et héroïquement. Être solidaire, c’est plus simple : c’est une question de vivre-ensemble, de redistribution des richesses, et de régularisation des titres de séjour. La solidarité se pratique d’autant plus facilement qu’il est d’usage de compatir davantage pour les antipodes que pour le pas de sa porte. Est-il charitable d’encourager le déracinement et la paupérisation des gens en difficulté ? Notre prochain n’est-il pas aussi celui qui nous est proche ? La solidarité nous dispense de ces questions : donnons des sous et des papiers, notre âme sera sauvée.
vendredi 20 février 2009 at 1:40
Oui, je sais, je suis affreusement méchant.
vendredi 20 février 2009 at 2:12
Entièrement d’accord avec vous. Je me suis fait la même réflexion en lisant l’édito de Macadam Journal (vendu par des
pauvresSDF dansla ruel’espace piétonnier). Extrait :« Imaginer « un journal qui s’envole de la main des vendeurs ». C’est cette gageure un peu folle que nous nous sommes fixée pour la nouvelle naissance de Macadam. Avec un maître mot : la qualité, pas la charité.
Macadam est un vrai magazine au contenu riche et varié. De l’humanitaire, bien sûr. Il sait donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. Mais il propose aussi : confidences de stars, plans malins, pages bien-être, jeux, humour, détente. Et la participation de vraies plumes. »
C’est ici :
http://www.macadamjournal.com/
vendredi 20 février 2009 at 3:33
Monsieur Plus, vous n’êtes décidément pas très charitable avec les progressistes.
samedi 21 février 2009 at 10:43
Le solidaire se pense comme modèle alors que le charitable se pense comme créature .
Ils ne paraissent apparentés que pour les esprits distraits car l’un est en réalité l’antithèse de l’autre .
Ainsi, il est donc parfaitement normal que les progressistes insistent lourdement mais inconsciemment sur cette distinction .
samedi 21 février 2009 at 12:18
Isha,
En effet :
La solidarité est horizontale, redistributive, obligatoire.
La charité est un acte vertical, gratuit, libre.
samedi 21 février 2009 at 5:59
La solidarité est un acte collectif. La charité est un acte individuel.
dimanche 22 février 2009 at 2:13
Et je tombe sur cette citation qui éclaire bien ce débat.
Je la pose ici, discrètement, parce que moi, je n’ai pas grand chose de plus à dire.
«La pitié par elle-même est négative. Elle pleure désespérément sur la pauvreté, la misère… Beaucoup d’esprits modernes en sont restés à ce stade spirituel. Les modernes, parce qu’ils sont tout faiblesse, ne trouvent rien de mieux, quand ils veulent être bons, que le sentimentalisme. Ce n’est pas le don de soi qui les tente, c’est la pitié, qui ne nous arrache pas à nous-mêmes.
La charité, au contraire, est la plus active des vertus. C’est l’amour qui a créé et qui répare. C’est l’amour qui vient au secours de la pitié, prêt à la fertiliser. Il ne s’oppose pas aux larmes, il ne les condamne pas, il dit avec Jésus : « Bienheureux ceux qui pleurent », mais c’est pour les consoler (« car ils seront consolés »), pour avoir des larmes à essuyer de tous ces yeux, des peines à transfigurer, des cœurs délabrés à « refaire ». L’amour de charité a les mêmes fonctions que le Saint-Esprit. Il est le Paraclet annoncé par l’Évangile du Christ, il est le Consolateur qui doit venir.» Stanislas Fumet
dimanche 22 février 2009 at 5:38
Pirluit,
Excellent texte, merci beaucoup !
dimanche 22 février 2009 at 7:13
Il est très utile que les catholiques nous rappellent le sens de la charité, car nous l’avons totalement oublié.
Je ne suis pas compétent en la matière, mais j’ajouterai une chose à la définition de la « solidarité » à la française: il s’agit surtout d’être généreux avec l’argent des autres.
Soit qu’on demande à l’Etat d’aider autrui (donc de voler dans la poche du voisin pour se donner bonne conscience), soit, mieux encore, de demander directement du pognon à l’Etat pour soi-même.
Même par rapport au sens du mot solidarité dans la langue française, sa signification « citoyenne », telle qu’elle est entendue par les Degauche, n’a rien à voir. Et je vois mal en quoi ce pourrait être une vertu, même laïque.
lundi 23 février 2009 at 9:54
Le « Vergez-Huisman » qui a été « le » manuel de philo en usage dans les bons lycées jusqu’au début des années 80 expliquait en ces termes « l’opposition traditionnelle de la justice et de la charité » :
« Tandis que la justice concerne des aspects objectivables de l’existence (…) instaure un système de droits et de devoirs réciproques, définissant ainsi les conditions d’une solidarité, la charité vise plutôt à instaurer une communauté de personnes. (…) D’où l’opposition entre l’universalité abstraite de la justice et le caractère concret et personnel de la charité »
Suivaient, entre autres développements, les analyses de Bergson sur la distinction entre le « clos » et l' »ouvert » : la charité étant du côté de l’appel ressenti par le saint ou le héros par opposition au code des sociétés fermées.
Cette opposition « traditionnelle » était ensuite un peu battue en brèche par les auteurs du manuel, mais il demeure intéressant de noter que pour un esprit moyennement cultivé, jusqu’au seuil des années 80, le terme de charité avait une connotation immédiatement positive (dût-on la contester) face au caractère mécanique de la solidarité.
mercredi 25 février 2009 at 1:51
« Solidarité », plus in depuis l’apparition du SIDA, a remplacé charité, trop connoté vertu théologale de toutes manières..
mardi 28 avril 2009 at 4:47
« La charité, pour un égalitariste, est un vice féodal. »