J’ai horreur des pros. Vous savez, les « professionnels ». Les « pros ». Les mecs qui gèrent grave. « Faites appel à un pro« . Ah, l’exécrable engeance que sont les pros, avec leurs blousons sans manche et leur déodorant vu-à-la-télé. Les pros s’y connaissent. C’est leur métier. Laissez-les faire, ils ont la technique. Ils ont un crayon qui dépasse de leur poche de devant, prêts à vous faire un devis sur une feuille jaune, sur laquelle trône l’infâme logo de leur SARL, parfois souligné de la minable devise de la boîte. Les pros sont compétents, ils savent comment exécuter la tâche qu’on leur demande. Ils sont « à votre service » et ils ont un « savoir-faire« . Souvent, ils forment « une équipe« . Ils connaissent les fabricants, les fournisseurs, les distributeurs, les revendeurs, les concurrents, les représentants, les commerciaux, les sous-produits, les contre-façons, les gammes disponibles, les clients satisfaits et les clients mécontents, les collègues, les confrères, les gars de l’administration publique qui veillent sur leur profession, et tout cela forme le joyeux fatras de leur répertoire téléphonique. Les pros parlent fort. Ils connaissent leur milieu. « Untel travaille très bien, Untel fait du boulot de sagouin ; mais Untel est vraiment le meilleur, c’est une boîte à l’ancienne, avec le grand-père – un italien – [ou un polonais] qui gère encore la compta. Moi j’étais en classe avec la fille, qui a épousé un D. et qui a quitté la région pour aller dans les DOM-TOM. »
Les pros font des schémas, des croquis, des gestes avec les mains, ils font mine de vous expliquer mais constellent leurs discours de mots techniques et d’acronymes pour noyer le poisson et vous épater. Ce n’est pas abscons, c’est technique. Vous n’avez pas compris ? C’est parce que vous n’êtes pas un pro. Ne prenez pas le risque de mieux savoir qu’eux. Laissez faire les pros. J’ai horreur des pros parce qu’ils sont l’image de l’aliénation par le travail. Autant je crois que le travail est le véhicule d’une émancipation authentique, autant je crois que le professionnalisme en est la redoutable perversion. Gustave Eiffel était-il à la tête d’une équipe de pros à votre service lorsqu’il assembla la charpente de la Statue de la Liberté ? Le maçon qui a bâti en 1815 ce qui est devenu votre résidence secondaire était-il un professionnel des espaces à vivre au cœur de votre région ? Le banquier qui jadis prêta de l’argent à vos grands-parents en 1921 les assura-t-il qu’il était le partenaire de tous leurs projets dans un monde qui bouge ? Et le peintre qui travailla sous Napoléon III à la fresque de la Chambre de Commerce a-t-il passé des heures à étudier des devis de fournisseurs aux normes européennes et à sélectionner des gammes mates, brillantes, satinées, texturées, grainées, pour donner un éclat durable à vos intérieurs ? Et tous ces braves gens se promenaient-ils avec des logos géants sur leurs habits professionnels ?
Les pros ne sont plus que des marchands. Ils ne sont pas là pour réparer votre chaudière, tondre votre pelouse, préparer un banquet pour vos convives ou faire vos photocopies : non, ils sont là pour vous vendre des solutions ou pour vous vendre des produits. « Bonjour monsieur le banquier, je voudrais de l’argent. » Il va vous répondre qu’il peut vous proposer une gamme de produits financiers adaptés à vos besoins. N’importe quoi. « Bonjour monsieur de l’EDF, je compte refaire toute l’installation électrique de ma baraque pourrie ». Vous aurez droit à une litanie de Solutions Bleu Ciel ou de Solutions Solidaires à des tarifs détaillés sur un tableau ésotérique mis en page par un graphiste manchot. Mais putain, personne n’achète des produits pâtissiers sélectionnés dans la gamme Évasion Chocolatée contre un peu de produits financiers dans un espace de vente où toute notre équipe est à votre service. Non. On va juste à la boulangerie acheter des pains au chocolat à 90 centimes. Bordel.
Je ne me fais pas d’illusion ; les corporations d’autrefois pratiquaient volontairement le jargon et le secret professionnel pour défendre un métier de qualité – l’art – contre les usurpateurs et les incompétents, cela a toujours existé. Mais les pros adorent [outre s’aliéner aux produits manufacturés supervisés par des instituts de qualification et qu’il ne reste plus qu’à poser sans se gourrer] s’emmurer dans des constructions philologiques délirantes qui tentent de leur assurer une existence au sein du monde conceptuel. Car l’une des plus ravageuses maladies du siècle, c’est le conceptuel. Tirer des fils électriques entre une ampoule de salle de bain et un compteur, ce n’est guère conceptuel. En revanche, devenir l’installateur agréé de toutes vos solutions énergétiques, ça vous en fout plein la vue et ça vous passe l’envie de discuter avec l’équipe compétente aux normes ISO 9001. Sauf si vous aussi, justement, vous étiez en classe avec la fille en question qui a épousé D. et qui est partie dans les DOM-TOM. Auquel cas, vous découvrirez soudain que, derrière les fortifications du bullshit professionnel, se cache encore parfois des vraies gens avec qui on peut boire l’apéro en rigolant, contre quelques arrangements administratifs ou fiscaux.
mardi 1 juin 2010 at 12:05
Si j’ai bien compris, vous reprochez aux «pros» d’être plus des baratineurs que des «pros» !
mardi 1 juin 2010 at 1:39
Et n’oublions pas « les professionnels de la profession » !…
mardi 1 juin 2010 at 2:02
Moi, les pros, je les dépasse par la droite. J’ai prouvé au « pro » de ma banque que ses relevés d’intérêts étaient faux. Il a essayé de reconstituer le calcul. Il cherche encore.
mardi 1 juin 2010 at 2:23
C’est pas souvent que j’éclate de rire devant mon écran, mais là je n’ai pas pu résister ! Bravo Fromage ! 😀
mardi 1 juin 2010 at 5:14
Très bon !
J’ai eu ce sentiment d’étouffement la fois où je suis allé dans une boutique Nespresso acheter des capsules pour ma machine… Dans une boutique Nespresso, il est impossible d’acheter du café : les capsules ont été mises exprès hors de portée. A la place, vous passez un vigile puis êtes « accueilli » par un « conseiller » de banque d’affaires en gants blancs, qui vous demande sur quels « arômes » vous êtes porté et vous fait « déguster » les nouveaux « arômes ». Impossible d’empoigner un paquet de café et de payer, non, vous DEVEZ passer par ce conseiller qui vous demandera si vous voulez être « membre du club » ou profiter de « privilèges »… Certains semblent ravis de discuter sur les « touches plus ou moins corsées » de la dernière « édition limitée » de la « nouvelle collection ». Moi je n’y refoutrai plus jamais les pieds.
Enfin, je me permets de vous donner un lien vers une bonne BD qui parle à sa façon des « pros » : http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=367
mardi 1 juin 2010 at 7:01
Salut Fromage,
quelle prose !
J’ai cru un instant qu’il était question d’ironie, mais non, rien que de la rancœur de s’être fait empapaouté par le maçon du coin.
Cela dit, j’ai apprécié.
Si vous vous en sentez le courage, je suis à votre disposition pour vous entrouvrir les portes de la dure réalité des pros du bâtiment, qui compensent leur solitude et la difficulté physique de leur travail par une gouaille tapageuse qui vous irrite à juste titre.
mardi 1 juin 2010 at 7:32
Excellent!
mardi 1 juin 2010 at 7:33
Ahhh… pauvre fromageplus, je vois que pour une fois vous prêchez par optimisme… car des gammes évasion chocolatées, il y en a et un paquet (cadeau, cela va de soit!)…
http://www.ciao.fr/Cemoi_Evasions__894335
http://www.dlys-couleurs.com/201-chocolat-cadeau-fete-meres.html
http://www.sensationchocolat.com/stat/gamme-gp_4a.html
http://www.wonderbox.fr/evasion-chocolatee-au-spa-wellness-beauty-lyon.html
mardi 1 juin 2010 at 7:49
Très bon. Et ce qui me fait rire c’est aussi que conscient de vivre dans un monde où l’esbroufe est de mise, j’en ai largement usé pour me vendre… J’ai un site internet qui joue habilement de l’esbroufe… tout un savoir faire (faire croire), avec lequel on finit par négliger son savoir faire véritable, celui que l’on est supposé vendre, notre métier. On pourrait ajouter que notre monde qui repose excessivement sur la concurrence gaspille des sommes phénoménales en communication, devis études de projets etc… pour n’aboutir bien souvent à rien. On ne devrait bâtir que comme au temps des cathédrales… on commençait sans avoir bouclé le budget, on finissait trois générations plus tard les chefs d’œuvre que l’on sait… tandis que les « pros » d’aujourd’hui ne laisseront rien.
mardi 1 juin 2010 at 7:54
Les pires des pros sont quand même les commerciaux à cols blancs qui se la pètent avec des barèmes, etc. Et jouent l’embrouille la sueur au front quand on leur pose la question qui tue…
@ Xix, je vous conseille de lire ça :
http://hussard82.blogspot.com/2008/04/nespresso-what-else.html
mardi 1 juin 2010 at 8:08
Plouc-émissaire,
J’allais recommander exactement la même chose à Xix !
mardi 1 juin 2010 at 11:23
Honnêtement, la seule différence entre les pro d’hier et les pro d’aujourd’hui, c’est la pub.
Grâce à la pub, n’importe quel gland d’ aujourd’hui seul dans sa SARL peut passer pour une star de sa profession.
Et c’est bien le problème, car celui qui ne rentre pas dans le système devient inaudible et meurt à petit feu, se faisant devancer par des incompétents.
La contrepartie pour les pros ? Avec internet les clients croient tout savoir de du métier des pros parce qu’ils ont lu « bricoler.com » ou « le-juridique-facile » la veille au soir. Et alors ça devient un concours d’incompétence et un énervement réciproque. Après avoir bien fait braire le pro, ils vont prendre l’apéro en racontant que eux « ils se sont pas fait niqué »
Mais prenons une corporation bien médiévale: les hérauts d’arme. La préhistoire de la pub en somme. Ils avaient tellement pas de savoir à protéger qu’ils ont inventé un langage particulièrement technique pour un art à la base simplissime, puis, cela ne suffisant pas, ils ont créé des armes surcomposées.
Par exemple: « D’or, à l’aigle bicéphale de sable, membrée, becquée et liée de gueules ; sur le tout écartelé en 1 parti fascé d’argent et de gueules de huit pièces et de gueules à la croix patriarcale d’argent sur une colline de sinople, en 2 de gueules au lion d’argent à la queue fourchée passée en sautoir, couronné, armé et lampassé d’or, en 3 bandé d’or et d’azur à la bordure de gueules et en 4 d’azur semé de croisette d’or aux deux bars adossés d’or, dur le tout tiercé en pal en 1 d’or à la bande de gueules chargé de trois alérions d’argent, en 2 de gueules à la fasce d’argent et en 3 d’or à six tourteaux mis en orle, cinq de gueules, celui en chef d’azur chargé de trois fleurs de lis d’or.
Et ça donne ça:
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f4/Armoiries_L%C3%A9opold_II_Habsbourg_Lorraine.svg
mardi 1 juin 2010 at 11:56
@ KD de Gascogne:
1)Bravo pour ton pseudo, moi ce serait plutôt DD de Gascogne …
En espérant que tu ne sois pas Kad MeraD
2) Herald dit que tu es jaloux !
mercredi 2 juin 2010 at 1:40
Belle analyse de la « marketisation » des moeurs. Séguéla est passé par là (la pub doit faire rêver les gens, mêmes quand ils achètent une boîte de petits pois= années 80).
Lars Olofson de Carrefour en 2010: nous devons réechanter l’hypermarché.
Et ta soeur?
L’Américanisation rend con. Voyez les résultats: l’Amérique à la Française; j’écoute Johnny, ou du rap « français », je bois Coca, je suis un pseudo-Amérloque trop cool à 100 lieues de ce que vit, mange et écoute l’Américain-moyen .
A voir ou revoir: « The Truman Show », « Starship Troopers », « Network »…
mercredi 2 juin 2010 at 2:02
Pour revenir au sujet on a inventé le « pro » pour empêcher « l’amateur » de venir piétiner ses plates-bandes, comme il y a le film d’amateur et le film de pros (camescope de bouseux ou caméra pro?, d’auteur ou commercial, le pro du pot (et l’amateur qu’a pas de pot???), le médecin (forcément « pro » et cher, plein de cachets inutiles et d’analyses de pros qui vous diagnostiqueront que vous allez mourir au milieu des pompes funèbres pros) et le remède de grand-mère (gratuit et efficace), les sportif pros, avec plein d’autocollants partout et de putes partout aussi, et l’amateur, encouragé par bobonne et les poiv-pros du coin, encore obligé de pédaler lui-même (pfff quel idiot), le désinfectant pro pour ménagères de moins de cinquante ans, pour tout nettoyer comme à l’usine (les autres font comme Cendrillon: à genoux pouffiasse!), les opticiens pros chez qui vous n’y verrez que du feu, les cuisines pros, sous-traitées chez des stagiaires pizzaïolo, les professionnels du bâtiment FNAIM (Front National des Animateurs d’Ingénierie Moléculaire?), Cent Tueries 21 Fox? Les pros de l’informatique (vous dites? Un…quoi?…bus dans mon ordinateur!?)
To be Continued….
mercredi 2 juin 2010 at 7:01
Va donc chez Speedy !
mercredi 2 juin 2010 at 8:33
Fromage, je me suis fait la même réflexion quand nous cherchions, il y a quelques mois, un nouvel appartement.
– Bonjour monsieur, nous sommes à la recherche d’un appartement.
– pourriez-vous m’en dire plus sur votre projet d’emménagement ?
– C’est pas un projet, c’est que j’ai réellement besoin d’un appartement.
– alors je viens de rentrer trois produits qui seraient susceptibles d’entrer dans votre projet…
aaaaaaah, mais ils vont arrêter avec leurs produits ?
mercredi 2 juin 2010 at 10:08
Avec les pros, n’oublions pas les consultants !
C’est con comme mot consulting ?
Certes mais c’est plus classe qu’escroquing …
mercredi 2 juin 2010 at 11:53
Trois remarques :
– Gustave Eiffel et la charpente de la Statue, je l’ignorais. (En revanche, et juste pour me la péter un peu, je savais que c’était Bartholdi le sculpteur-concepteur.) Merci Fromage.
– Personne n’a fait la remarque débile habituelle : « on nage en plein communisme ». Merci à tous.
– ISO 9001 c’est dépassé, limite ringard. Pas très pro, en fait. Maintenant, on dit ISO 14001. Merci AFNOR.
jeudi 3 juin 2010 at 1:04
@ PMalo (ce qui est mieux que chamalo):
pour la statue moi aussi j’étais étonné pour Gustave Eiffel, mais force est e reconnaître qu’il avait plus d’un(e) tour dans son sac
jeudi 3 juin 2010 at 12:33
dechaine sur ce coup, mr F+… Je me suis trop bidonne.
Tu t’es fais entube par un plombier pour etre motive comme ca?
jeudi 3 juin 2010 at 1:05
Entuber par un plombier ou par un garagiste Citroën ?…
jeudi 3 juin 2010 at 7:18
J’aime beaucoup les pros, et amis, avec lesquels je bois mon café chaque matin, ce sont de vrais pros, il est facile de les reconnaitre, ils ont les mains calleuses 😀
Ils ne font pas de publicité, ceux-qui-savent font appel à eux, leur carnet est plein pour les six mois à venir, voire pour l’année à venir pour mes maçons.
Il n’y a rien à leur expliquer, ils voient tout de suite, et quand il y a un problème, ils ont la solution.
Je vis presqu’à la campagne, ce doit être ce qui rend mes pros différents.
La meilleure façon de reconnaitre un pro est de lui serrer la main, s’il a la main douce, méfiance, c’est un expert.
jeudi 3 juin 2010 at 10:40
Certes, PLC, la différence entre un pro et un expert est subtile… et primordiale.
Quant à moi, je vis complètement à la campagne, et ça fait quelques mois que je n’ai pas vu quelqu’un avec la main douce…
vendredi 4 juin 2010 at 12:41
Vous avez oublié de parler des pros qui mettent leur résine dans les trous pas plus gros que les pièces de 2 euros. Et il faut savoir que les normes ISO 9001 sont délivrées par des boites de certification qui se font des bourses en or.
samedi 5 juin 2010 at 2:02
Splendide ! et là, c’est le pro qui parle…
C’est si bien couché, je suis vraiment admiratif de votre aisance à énumérer, à éclaircir ces concepts moisis qu’on nous pond à longueur de journée, de les réduire à ce qu’elles sont réellement : du baratin commercial!
samedi 5 juin 2010 at 6:53
Une fois n’est pas coutume, je ne suis pas d’accord avec vous Mr Fromage!
Quelqu’un plus haut a fait la distinction entre les pros et les experts, ça me paraît déjà plus pertinent: en tant que « pro », les concepts et les projets individualisés sont plus une grosse vanne qu’autre chose pour moi et mes gars… On en rigole même avec les clients! Rien de plus qu’un tas de salmigondis inventé par les fameux experts (vade retro satanas!), qui justifient ainsi leur présence au sein de la boîte et évitent que l’on s’interroge trop sur leur utilité réelle.
Mais ça ne trompe pas grand-monde.
Comme le disait récemment un de mes clients au sujet des dits experts: « …et le pire c’est que ça se reproduit comme des lapins! La dernière fois qu’ils sont venus, ils étaient quinze, avec pour seuls outils des calepins et des téléphones portables! »
mardi 8 juin 2010 at 3:25
mdr exelent merci pour le partage c’est fun ^^