-On vit quand même dans une société vachement matérialiste… -C’est clair : l’Occident c’est vraiment le culte de la consommation, du fric, et de la marchandise. -Oui, nous sommes une civilisation du superficiel et de la vanité. -De toute façon, le monde judéo-chrétien, c’est le culte des apparences, l’hypocrisie, la soif de pouvoir et d’argent.

Des considérations comme celles-là, on en entend des dizaines chaque jour. Et juste après, on entend généralement :

-Nous avons un vrai besoin de retrouver des vraies valeurs, de retrouver du spirituel. -Oui, c’est pour ça que je crois que les autres civilisations ont beaucoup à nous apporter en termes de rapports humains, d’humilité, de relation à la nature… -Les spiritualtés chinoises, indiennes ou africaines peuvent réellement nous donner un souffle de sacré qui manque à notre existence de riche occidental prisonnier de la seule jouissance périssable. -C’est clair. Le bouddhisme ou l’islam sont bien plus riches pour l’âme que le Christianisme ou le Capitalisme.

S’il est vrai que le monde moderne trouve son idéal dans un matérialisme condamnable, il serait peut-être bon de nuancer les considérations ci-dessus. D’une part, parce que le monde Moderne est loin, très loin, de condenser la somme civilisationnelle occidentale ou judéo-chrétienne [je ne m’étendrai pas là-dessus] ; d’autre part, parce que le réel offre aux yeux attentifs des conclusions tout autres.

J’ai pu arpenter Londres pendant dix jours. J’y ai croisé toute la gamme des traditions vestimentaires que le monde comporte [turbans, saris, djellabahs, tchadors,etc.], et dans laquelle le voile islamique intégral figurait en bonne proportion dans les rues de la capitale. Il est assez facile d’établir ce rapide calcul après quelques jours de séjour : plus le lieu fréquenté se caractérise par son degré de culture, moins on y compte de population d’origine extra-européenne. Plus le lieu fréquenté se caractérise par son degré de mercantilisme, plus on y compte de populations d’origine extra-européenne.

Rues commerçantes : huit burqas au mètre carré. Centres commerciaux divers : douze burqas au mètre carré. Magasin Harrod’s : dix-huit burqas au mètre carré. British Museum : quelques turbans, peut-être un tchador dans la foule. National Gallery : un ou deux saris, mais zéro burqa. Idem pour la Tate Modern. Idem chez John Soane. Je ne vous parle même pas des églises et des cathédrales. Je fais un autre constat empirique : même le plus athée et le plus laïcard –voire anticlérical– des Français reviendra de ses vacances marocaines en ayant visité deux ou trois mosquées, ou de ses vacances parisiennes en ayant visité le musée des Arts islamiques ou les collections hindoues du Musée Guimet.

Donc, si j’en ai marre comme tout le monde de voir ma civilisation sombrer dans le nihilisme consumériste, je récuse fermement la mort totale de son goût pour le Spirituel. J’ai même l’outrecuidance de croire que même à l’état d’apostasie quasi-général de sa tradition religieuse [le christianisme, pour ceux qui ne suivent pas], l’Occident est sans doute bien moins fasciné par les breloques, le doré et le brillant que toutes ces merveilleuses spiritualités d’ailleurs qui nous apprendraient à prendre de la distance par rapport aux biens matériels. Je prends à témoin les milliers de femmes voilées [donc particulièrement pieuses, n’est-ce pas] qui se précipitent chaque jour au cœur des néons clinquants, des escalators astiqués, des carrelages rutilants et des bibelots étincelants, et qu’on ne voit plus sitôt que l’on s’éloigne des lieux dévolus à la Consommation.

[À suivre]