Il est devenu impossible de voir un défilé national sans qu’une autre nation invitée participe à la parade, tout comme il est devenu impossible de voir un parcours du Tour de France sans ses étapes à l’étranger [Italie, Espagne, Belgique, bientôt la Mauritanie et l’Islande ?]. Certains y voient de la générosité, de l’ouverture, etc. Pour ma part, vous ne m’empêcherez pas de penser que ce sont autant de petits signes, faibles mais distincts, anecdotiques mais récurrents, qui finissent par dresser un portrait assez net d’un pays perclus de trouille. La trouille d’avoir l’air un peu trop franco-français. La trouille du patriotisme – même si celui-ci n’existe plus qu’à l’état lamentable de chauvinisme à usage exclusivement sportif, ou presque. La trouille de se coltiner l’infâme réputation de « pas-très-ouvert-d’esprit ».

Toute l’année, sans interruption, on nous abreuve de sans-papiers, d’Europe élargie, de vivre-ensemble, de coopération internationale, de Turquie, d’Euroméditerranée, de couple franco-allemand, de métissage, de croisée des cultures, de musée des arts premiers, de festivals des musiques d’ailleurs, de solidarité pour tel ou tel pays sinistré par une vague géante ou une pluie de grêlons, d’otages perdus dans les jungles tropicales ou retenus dans des prisons plus ou moins louches, d’Israël et de Palestine, de matches de foot amicaux qui dégénèrent, de communautés qui revendiquent et d’ethnies qui dénoncent, de politique américaine et d’Afghanistan, de Comores et de Tibet, que sais-je encore ; et la seule journée où l’on pourrait enfin exalter le sentiment national, la seule journée où l’on pourrait se défaire du lointain qu’on nous impose en continu, pour enfin s’intéresser à notre prochain est finalement noyée dans cette insupportable trouille : fêter la Nation, c’est exclure toutes les autres nations de la fête. Exclure, c’est donc discriminer,… c’est prêter le flanc aux pires suspicions ! Et, en effet, fêter le 14 juillet entre soi est devenu le crime suprême de lèse-Autrui.

« Voulons-nous une société ratatinée, aigrie, recroquevillée sur des peurs moyenâgeuses ? Une société qui rejette l’autre, le différent, l’étranger ? »
Jack Lang – mai 2006.