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La nouvelle voiture officielle du Président de la République.

Après avoir dévolu un ministère pour l’Identité Nationale [mars 2007], après avoir exprimé la volonté d’inscrire le patrimoine gastronomique français au répertoire de l’Unesco [février 2008], Nicolas Sarkozy souhaite aujourd’hui [janvier 2009] la création d’un grand musée de l’Histoire de France.

Comment expliquer le caractère profondément funèbre de tout cela ? Comment poser des mots clairs sur la mise à mort de tout ce que M. Sarkozy touche du doigt, comme une sort d’anti-Midas ? Comment faire comprendre que tous ces actes procèdent d’une même cohérence, d’une même volonté d’anéantissement du vivant au profit de l’embaumement ?

 Je vais prendre une comparaison. À partir du moment où vous écrivez une loi stipulant que le mariage unit un homme et une femme, vous révélez la mort programmée de l’institution du mariage, pour cette raison que les choses ne vont plus de soi. Personne ne s’est jamais demandé s’il était pertinent de parler du concept d‘hétérosexualité pour définir le mariage. Pas plus qu’on n’écrit aujourd’hui de loi stipulant que la bonne ingestion d’un steak au poivre passe par la mise en mouvement de ses mâchoires, ou que pour actionner une poignée de porte il faut étendre le bras vers celle-ci. Ces choses sont évidentes. Si elles n’apparaissent plus évidentes, c’est que le sens nous en est devenu pronfondément, ontologiquement étranger. Soit par une extinction/mutation des habitudes culturelles et des représentations du monde, soit par dysfonctionnement psychiatrique. Peut-être aussi d’un subtil mélange des deux.

Recourir à l’institution d’un ministère pour travailler à l’identification de l’Identité Nationale est au mieux un travail de thanatopracteur, au pire un commerce spirite. C’est la signature de l’acte de décès de la Nationalité. Cela signifie que l’appartenance au destin national n’est pas une exigence ordinaire partagée par tous ; et même que la proportion de personnes ne la partageant pas est devenu si significatif qu’il engendre la préoccupation en plus haut lieu. Le ministère de l’Identité Nationale n’est donc pas la solution à la déliquescence de la cohésion du peuple français, il est l’implacable aveu de l’échec à la réanimer. Rien de plus que de l’agitation.

Yazid Sabeg, commissaire à la Diversité et à l’Égalité des chances, estime que la France fonce tout droit vers l’apartheid et la guerre civile. Il n’a pas tort, mais cela fait un moment qu’on le sait et qu’on tire la sonnette d’alarme. Ce n’est pas nouveau. Et je ne comprends pas pourquoi les autorités républicaines s’en inquiètent puisqu’elles ont toujours désiré cet état de fait. Les uns parce qu’ils voulaient trouver des révolutionnaires de substitution pour poursuivre la lutte des classes faute de troupes prolétaires « de souche » motivées, les autres parce qu’ils pensaient que tous les individus de la terre voulaient et pouvaient devenir français par la simple obtention d’une autorisation de séjour ou d’une carte d’électeur, d’autres encore parce qu’ils croyaient en la coexistence heureuse de gens qui n’ont rien à se dire, voire que tout oppose sinon l’assignation à la redistribution des richesses dans le territoire de la République, etc… Comment voulez-vous réunir les conditions d’une même convergence des valeurs et des aspirations ? On ne fabrique pas de communauté pacifique quand on ne se reconnaît pas de semblables autour de soi. Un peuple n’est pas une somme de faits positifs enregistrés dans un espace administratif donné. C’est de la définition de sociologue soviétique, ça.

Pour s’épargner de souffrir la présence d’individus trop différents, indésirables, voire malveillants ; pour se protéger des conflits internes qui ruinent l’existence et le bien commun, tous les organismes vivants évolués font usage du territoire, c’est à dire de limites au-delà desquelles on abandonne toute vélléité de contrôle. On reconnaît à l’autre la légitimité d’un autre espace. Et on fait du sien ce qu’on veut. Il est d’usage de dire que les frontières provoquent des conflits et des injustices, on oublie de dire qu’elles sont aussi la garantie d’une paix réciproque en réunissant les communautés distinctes entre elles, de part et d’autre d’une ligne. C’est ainsi qu’en Allemagne on parle allemand d’un bout à l’autre de l’Allemagne et qu’on y mange des choses spécifiquement allemandes, c’est ainsi qu’en Pologne on parle polonais d’un bout à l’autre de la Pologne et qu’on y mange des choses spécifiquement polonaises, et qu’une simple ligne sur une carte autorise l’existence de deux Histoires distinctes. C’est élémentaire. Or on nous promet un monde sans frontières, on nous promet donc un monde où les conflits entre Argentins et Boliviens concerneront forcément les Inuits, les Italiens, les Coréens et les Australiens. Ah mais non, nous répond-on, puisque dans ce monde sans frontières il n’y a plus de nations sinon des citoyens du monde. Le réel prouve que les choses ne marchent pas ainsi, que des exilés de troisième génération continuent de vivre dans une revendication identitaire étrangère à la patrie d’adoption ; et que des « français de papiers » se sentent puissament concernés jusque dans leur chair par le destin d’Israëliens ou de Palestiniens, ou par l’évolution de l’équipe de football portuguaise, bien qu’ils soient tous installés en France depuis de longues années.

Combien de fois ai-je entendu dire que les bonnes pizzérias sont celles tenues par de véritables italiens ? On ne peut s’empêcher de préférer la pizzéria « Chez Luigi » à la pizzéria « Chez le Père Gérard ». De trouver que la crêperie « Chez Boubacar Traoré » sera toujours moins authentique que celle de « Chez Yvonnic Le Guilloudec ». Les identités sont profondément ancrées dans la nature des gens et dans les schémas de représentation. Si un jour j’apprends que le tenancier du kebab s’appelle Jean-Guillaume Edouard Foutredieu de la Yaourtière, vous ne m’empêcherez pas d’avoir un réflexe de surprise. Et si je vais faire un séjour dans un Club Med au Sénégal, vous ne m’empêcherez pas non plus d’être surpris – et même déçu – si je découvre que tout le personnel est chinois. Récemment, je consultais un catalogue de tourisme pour un pays scandinave, et bien au mépris du culte de la Représentativité de la Diversité, toutes les photos nous montraient des hommes et des femmes blonds. Ne suis-je pas navré de découvrir que ceux qui chantent les tubes d’Édith Piaf à l’accordéon dans le métro sont tous Roumains ? Et qu’il n’y a plus guère que les Roumains pour connaître par cœur le répertoire so french d’Édith Piaf ? C’est comme ça, on ne dissout pas les caractères humains dans l’utopie de la « citoyenneté mondiale ». On attribue des authenticités indélébiles aux gens, même si ça paraît idiot ou infondé. Boubacar Traoré fait peut-être les meilleures crêpes du monde, les cars de touristes afflueront toujours en masse dans la taule d’Yvonic Le Guilloudec parce qu’il porte la barbe du Capitaine Haddock et le pull d’Éric Tabarly, et que le portrait de sa grand-mère en coiffe traditonnelle trône dans la salle. Ahmed Benzaoui a beau être né en France de parents français et de grands-parents naturalisés français, il ne peut s’empêcher de trouver que la cause palestinienne ou algérienne est plus importante à ses yeux que la cause européenne. Il n’a pas envie d’appartenir au Pays des Droits de l’Homme, et de prendre de la distance par rapport à ses racines. Et quelles nouvelles racines faire pousser dans un pays qu’on a sciemment voulu désincarné depuis 1793 ? Un positiviste dirait qu’Ahmed Benzaoui a le choix de prendre parti pour l’une ou l’autre des causes grâce à la liberté d’expression garantie par la République et à l’enseignement reçu à l’école publique, mais la réalité prouve qu’on s’attache toujours davantage à ceux qui nous ressemblent. C’est ainsi. Même si parfois cette ressemblance est complètement illusoire, j’en conviens. Ce n’est ni bien ni mal, c’est une vérité anthropologique avec laquelle il faut composer, c’est tout. Les messieurs et les demoiselles épousent les gens avec lesquels ils se trouvent des affinités, parce qu’ils savent plus ou moins consciemment qu’on ne bâtit rien sur le désaccord permanent. Ou alors l’un accepte de vivre dans la soumission à l’autre pour sauver le ménage – c’est à dire le sacrifice à l’intérêt supérieur –, pour le meilleur et pour le pire. Mais on n’épouse personne dans l’optique de vivre chacun de son côté.

Les ghettos ne se forment pas seulement pour des raisons d’exclusion et de discrimination qu’il faut réprouver, ils se forment aussi parce que les gens aiment se retrouver entre eux et jouir d’un mode de vie qui leur resssemble, à l’exclusion de tout autre. Les gens qui habitent les « quartiers sensibles » disent devant les caméras qu’ils vivent dans des conditions difficiles, mais ils sont ravis de trouver dans leur espace des boucheries halal, des salons de coiffure aménagés spécialement pour les femmes voilées, des pâtisseries orientales dans toutes les boulangeries, des piscines aux horaires aménagés, etc. sans être regardés de travers par des braves gens pour qui la burqa est une barbarie et qui ne savent pas prononcer correctement leurs noms et prénoms derrière les guichets de la Poste, et sans subir une plainte des voisins parce qu’ils font la fête toute la nuit à cause du ramadan. Souvenez-vous de ces émeutiers de banlieue qui réclamaient pour leur quartier que le personnel des transports en commun leur ressemble ! C’était il y a un an ou deux, et plus personne n’en a parlé depuis. Ce genre de phénomène devrait susciter un maximum de gamberge chez les sociologues, les politiciens, les journalistes, les antiracistes, mais on a acheté la paix civile en fournissant au dit quartier des chauffeurs de bus discriminés au faciès [oui, mais positivement discriminés hein, c’est à dire beaucoup moins gaulois que les précédents, pour mettre les pieds dans le plat] pour ne plus que les autres se fassent agresser, pour que le phénomène disolement dans le Même soit entretenu. Avec la bénédiction des progressistes multiculturels. Et M. Sabeg, commissaire à la Diversité et à l’Égalité des chances, c’est à dire « citoyen expert de ce qui le concerne » [Ségolène Royal], fronce les sourcils devant le spectre de l’apartheid ?

M. Sarkozy est aux yeux de certains un vilain fachiste élu avec les voix du FN, décidé à éradiquer la racaille, déportant les immigrés clandestins par millions, chassant les égorgeurs de moutons de baignoires, etc., mais la réalité est son exact contraire : son train de vie n’est guère celui d’un homme conservateur [hop je divorce, hop j’épouse une nightclubbeuse, hop je me fais photographier par un amateur de la jet-set devant le drapeau européen, hop je t’invite une palanquée de ministres de gauche dans le Gouvernement] ; la criminalité n’a pas régressé d’un iota [certes il y a trois-cent quarante flics par mètre carré autour des radars et des horodateurs, mais il n’y a plus personne pour vous défendre contre le viol, le racket, le braquage ou les bandes de « casseurs »] ; la France a gagné trois millions d’habitants en sept ans [avec une natalité inférieure au taux de renouvellement] ; le CFCM avec ses dizaines de permis de construire se porte à merveille, merci ; et les statistiques ethniques – c’est à dire l’hyperdiscrimination que dénonce M. Sabeg – ont un avenir grandiose tout tracé grâce aux idéologies antiracistes et à la Halde.

Mais revenons à nos moutons. Le patrimoine gastronomique inscrit à l’Unesco.

Clairement, c’est un acte de muséification, qui prouve que M. Sarkozy ne se sent absolument pas concerné par la gastronomie française. Il la considère comme un objet étranger à lui-même ; son inscription à l’inventaire du Patrimoine révèle combien M. Sarkozy en est le touriste.

Idem le Musée de l’Histoire de France. Ouvre-t-on un « Musée de l’Ipod » ? Non, on en fera un quand l’usage de l’Ipod sera caduc et pour bonne part indéchiffrable, définitivement étranger à nos usages. On fait des musées de la charrue ou de la locomotive à vapeur, parce que tout cela nous apparaît pittoresque. Et bien pour M. Sarkozy, l’Histoire de France est pittoresque. Elle n’est pas constitutive de son être et du sens qu’il met dans son action politique, il en est encore le touriste.

J’ai voté pour Ségolène Royal, par nihilisme. Mais je ne pensais pas que Nicolas Sarkozy puisse mettre à exécution une plus grande entreprise de mise à mort générale, avec une efficacité d’autant plus redoutable qu’elle avance sous les dehors crédibles d’une réhabilitation de la France, de son identité nationale, de sa cuisine, de son Histoire.

1967, autorisation de la pilule contraceptive. 1974, regroupement familial. 1975, légalisation de l’avortement. Une génération plus tard, l’Histoire de France entre au musée.