Le mois dernier, France 3 diffusait « La Soupe aux Choux », suivi immédiatement de « E.T. ». Je vous livre, un peu en retard, mon petit bilan de cette soirée Soucoupes Volantes.
Mettons les pieds dans le plat : c’est une soirée placée sous le signe du sacré. Mais pour mieux exposer mon propos, on va d’abord parler de E.T., pour mieux lire le contenu théologique qui traverse également la Soupe aux Choux.
1. E.T. débarque dans un monde déserté par le Père. Les enfants n’ont pas de père, il est parti quelque part « au Mexique ». La mère des enfants s’appelle Mary.
2. Le film est presque intégralement filmé à hauteur d’enfant, ce qui constitue un parti narratif extrêmement puissant, et assez unique au cinéma il me semble. Hormis la mère, les adultes n’ont quasiment jamais de visage. Les visages des adultes sont hors-cadre, ou dans l’ombre, ou masqués. Les adultes forment un monde hostile.
3. Le monde d’Elliott est également un monde de querelle : lorsque Elliott, souvent en conflit avec sa fratrie ou ses camarades de classe, fait la connaissance de E.T., il lui présente ses jouets : des figurines qui se battent et s’entretuent. Mais E.T. apprend à Elliott la concorde avec ses frères. E.T. est un artisan de paix.
4. E.T. est invisible aux adultes. Il ne se révèle qu’aux enfants ou aux âmes d’enfants. Même sous le nez de Mary, E.T. n’est jamais vu par elle, trop occupée qu’elle est à ses tâches ou à ses problèmes de grande personne.
5. E.T. opère des miracles : il guérit les blessures, ressuscite les plantes, fait voler les jouets, fait voler les enfants. Le contact des mains d’Elliott et de E.T. lors de la guérison est une citation explicite des mains de Dieu et d’Adam peintes par Michel-Ange au plafond de la chapelle Sixtine. E.T. est Maître de la Vie.
6. E.T. devient malade à partir du moment où il parvient à « phone home ». Elliott s’endort comme les disciples à Gethsémani. Lorsqu’il se réveille, il trouve E.T. mourrant au bord de la rivière. Il l’a abandonné au lieu de veiller sur lui.
7. E.T. est finalement capturé par les Adultes. Ils s’acharnent à le sauver de la mort. La vie d’Elliott et de E.T. sont liées par la même force, leurs vies sont tenues ensemble sur le même électrocardiogramme. Il y a une communion surnaturelle.
8. E.T. meurt. Il est mis au tombeau. Au moments de sa mort, le rideau transparent du bloc opératoire est déchiré comme tombe le voile du Temple lorsque le Christ expire. À ce moment, un des Adultes révèle son visage qui s’éclaire. Il prononce le mot de miracle pour qualifier la venue de E.T. sur Terre, même si le voici mort. Il a exactement l’attitude du soldat romain au pied de la Croix, qui était l’ennemi du Christ mais qui se convertit en disant « vraiment, celui-là était le Fils de Dieu ».
Elliott parle à E.T. mort à travers le hublot du tombeau, comme le Vrai Corps est exposé à travers le hublot de l’ostensoir.
9. E.T. resuscite dans le secret de son tombeau. Il se révèle à Elliott, vivant. Fun fact : E.T. est botaniste, tout comme le Christ ressuscité est pris pour un jardinier au sortir de son tombeau. Il est vêtu d’un linge blanc, il apparaît dans une lumière de paradis, son cœur est visible, il est enflammé, palpitant, lumineux, rouge sang.
E.T. est vainqueur de la Mort.
19. E.T. quitte la Terre dans une Ascension vers le Ciel, sous les yeux de Mary qui s’agenouille. Il prononce un commandement d’amour : « Be good ». Son vaisseau trace dans le ciel une Arche d’Alliance. Fin du film.
20. Elliott est clairement le Jean-Baptiste de l’histoire, l’annonciateur, le révélateur, celui qui l’a d’ailleurs baptisé. Son nom contient le nom d’E.T. E-lliot-T, comme les noms hébreux contiennent les attributs du Logos divin.
Les références christologiques sont innombrables, je ne vous fais que les plus explicites. J’aurais pu aussi vous parler de sa venue sur Terre à bord d’un vaisseau qui ressemble à un sapin de Noël, ou encore de sa première apparition à Elliott dans une cabane qui ressemble à s’y méprendre à une crèche de Bethléem.
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Okay, alors maintenant on va parler de la Soupe aux Choux. Ça va être plus court. La théologie vient, mais après quelques développements.
Très intéressant. La Soupe aux Choux, c’est à peu près le contraire de E.T., en tout.
Si E.T. est filmé à hauteur d’enfant, La Soupe aux Choux est entièrement filmé à hauteur de vieux.
E.T. filme des enfants querelleurs qui découvre la concorde, la Soupe aux Choux filme des vieux camarades que l’arrivée de l’extra-terrestre va risquer de séparer par un suicide. L’extra-terrestre va même arriver à séparer un couple pourtant marié par-delà la mort.
E.T. c’est le Monde païen nocturne qui découvre la lumière, La Soupe aux Choux c’est le Vieux Monde rural de la camaraderie et de la joyeuse crasse, foutu en l’air par l’arrivée d’un Monde d’Après obnubilé par la religion du progrès et le culte de « l’expansion économique » comme dit le Maire.
E.T. est l’être qui va tirer les humains de l’ignorance du vrai et du bon, la Soupe aux Choux ce sont les humains qui enseignent à l’extra-terrestre, issu d’un monde bureaucratique qui condamne le principe du Plaisir, en quoi consiste la vraie vie.
E.T. c’est le monde ancien qui attend le Messie, la Soupe aux Choux c’est le monde d’après qui se débarrasse du Messie.
La Soupe aux Choux, c’est le désarroi des enracinés, attachés à la mystique de la terre, à la générosité du potager, à l’immensité de l’ici, faisant face à une mystique de l’efficience économique, à la stérilité des loisirs et de la consommation, au nulle part des parkings et des lotissements.
Et Dieu ?
Le Glaude et le Bombé savent très bien où est Dieu. Il est dans le pain et dans le vin. Parce que « boire un canon, c’est de l’amitié ». Le Glaude et la Denrée, c’est le Petit Prince et le Renard de St-Ex : c’est en s’apprivoisant que l’on peut s’aimer en vérité. C’est en tissant du particulier, en instaurant des rites, en instaurant la Divine Soupe aux Choux qui transforme la société des robots Oxiens en civilisation de la saveur. C’est l’eucharistie, leur secret. Le sel de la terre. La mesure de levain dans la pâte à pain.
La Soupe aux Choux, c’est apporter littéralement la Terre des Gourdiflots au cosmos glacial, c’est la supériorité du Terroir aussi petit qu’un grain de sénevé sur l’Infini Intersidéral sans qualité.
Le Glaude et le Bombé sont des missionnaires, des apôtres. Leur monde les raille désormais, ils sont des débris, des vestiges, des reliques ringardes, des bêtes de foire égarées dans le Parc de Loisirs Mondial. Le désert spirituel d’Oxo leur tend les bras. Ils y seront considérés à leur juste valeur : des créateurs d’amitié. Une amitié qui déborde, qui tache, qui ne s’encombre pas de la pureté des hypocrites, une amitié qui fait des prouts et qui se fait des tapes dans le dos.
La Soupe aux Choux, film ultra-réactionnaire qui glorifie la paysannerie, condamne le stupide progrès, sait l’inanité de « l’expansion économique », se désole des jeunes filles qui ne connaissent plus la pudeur et la tenue, se navre des rêves parisiens qui échouent en cauchemars de serveuses parce que « la campagne c’est juste bon pour les ploucs », réhabilite la crasse qui sent le lard et célèbre l’eau fraîche des puits parce qu’elle transfigure le perniflard.
La Soupe aux Choux, c’est le Glaude qui fait le choix de pardonner à sa Francine et à son Bombé de l’avoir fait cocu, mais de ne jamais pardonner au Maire de vouloir l’exproprier.
La Soupe aux Choux est la victoire cosmique des Saintes Espèces.
mardi 28 juillet 2020 at 8:26
Ah ben ça alors, FromagePlus bouge encore. Excellent ! Le monde n’est pas encore foutu !
mardi 28 juillet 2020 at 9:55
Je ne voudrais pas vous paraphraser Fromage, mais vous réapparaissez comme un extra-terrestre. En route pour de nouvelles aventures !
mardi 28 juillet 2020 at 3:42
Heureux de constater que la PMA ne vous prend plus toute votre énergie, et vous avez mieux à faire de votre vie que de manifester avec quelques cathos, en regardant des films de top niveau.
mardi 28 juillet 2020 at 9:26
Un article du moisiblog ! C’est Noël en Juillet !!!!
jeudi 30 juillet 2020 at 6:40
En ce qui me concerne, si Dieu ressemble à La Denrée je me déclare Denréiste direct!
Merci pour cet article, qui nous rappelle à tous pourquoi plus personne ne lit Télérama, même ceux qui y sévissent d’ailleurs 😉
mardi 4 août 2020 at 11:00
Bonjour Fromage,
Tout d’un coup le mois de juillet devient ensoleillé. En un article luminocosmique vous me faites découvrir deux films que je ne regarderai plus comme avant.
Vive les fromages qui puent et les vins qui piquent !
lundi 10 août 2020 at 10:42
Merci pour vos commentaire ! 🙂
mercredi 12 août 2020 at 7:09
Ravi de votre retour, et merci pour cette interprétation très intéressante de ces deux films.
vendredi 16 octobre 2020 at 6:29
Alors moi qui croyait que Fromage Plus s’était tû.. ( tu ? tue ? tüt? tût?). Quelle joie et quelle surprise. Bon, votre dernier billet date de juillet, mais je me réjouis de revenir ici et de voir que vous écrivez encore… je regarderai donc la soupe au choux que je croyais être un navet.
dimanche 29 novembre 2020 at 7:44
Bonjour, monsieur Fromage. Vous m’avez beaucoup manqué. Je ne sais même plus sous quel pseudo je commentais à l’époque, c’est dire ! Je repassais ici à tout à hasard… et quelle bonne surprise !
Merci pour ce billet. Je vous souhaite un bon retour occasionnel sur internet.
Au plaisir de vous lire encore un de ces jours.
lundi 11 janvier 2021 at 10:34
je me joins au concert des habitués.
Une si longue absence, y compris la mienne, pour retrouver un billet du mitan de cette déplorable année 2020.
Et quel billet!
Vive le Bourbonnais libre et indépendant! Mort à la bureaucratie techniciste!
vendredi 26 février 2021 at 10:44
Merci fromage pour cet article d’une grande profondeur. Je ne sais pas ce qui dans votre vie vous a éloigné de ce blog, mais il y a beaucoup à s’interroger sur ce qui vous y a ramené un bref instant pour aborder spécifiquement cette oposition des espérances où se trouvent les 2 religions du Livre à notre époque. Oui, il semble que l’excitation métaphysique de l’une soit à son comble, de l’autre dans un creux (pour ne pas dire une éclipse…). Pour ETQ, Spielberg n’étant pas chrétien, mais son public l’étant, j’y vois plus une espèce de racollage hollywoodien (les américains me semblent plus susceptibles de déceller ce genre d’imitations de l’évangile à la lettre), mais dans quel but ? Signifier que notre temps est celui du messie comme il l’est du progrès ? Plagier la foi pour mieux la détourner vers certains messagers des astres que nous promettent certains scrutateurs de l’espace ? Il faudrait que je le revoie pour relier les points… La soupe aux choux, sous votre éclairage, parle plus à mon coeur, qui ne peut se nourrir des vérités du Ciel si c’est pour trahir ou laisser déperrir celles de la Terre, afin que toute espérance ici-bas demeure vraie, et que le déchirement du voile ne soit pas juste formel. Ou pour le dire autrement : la Vérité du ciel se reconnaît en ce qu’elle ne dénature rien, pour nous mortels.
vendredi 2 avril 2021 at 10:20
J’étions passé à côté d’ça vindieu !
Analyse très juste et toujours pertinente de deux films cultes de ma jeunesse !
Dommage que vous vous fassiez si discret sur le net !
À bientôt je l’espère…
vendredi 2 avril 2021 at 10:21
A reblogué ceci sur Décadence de Cordicopolis.