AVERTISSEMENT : si vous voulez garder intacte votre découverte de Melancholia, ne lisez surtout pas cet article.
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Je sors rarement d’une salle de cinoche énervé à ce point. Certes je n’ai jamais été un grand fan de Lars Von Trier, mais là c’est vraiment too much, quoi. Confiant dans les éloges lus çà et là, et entendus chez Jérôme Garcin, je me suis laissé porter vers le Majestic pour aller voir ce fameux Melancholia. Je ne m’attendais pas forcément à tomber amoureux du film, mais je croyais au moins en la promesse d’un certain esthétisme.
« Allez, on se casse » ai-je dit à Madame Plus pendant le déroulement du générique final. Et comment. On se casse, putain.
La « grandiose » ouverture du film est une succession d’images quasi-statiques en ultra-HD-de-ouf qui nous évoquent des souvenirs symbolistes de Magritte et de Millais, des plans super-léchés à la Mondino ou à la Terry Richardson façon magazine de mode, et surtout des images qui résonnent comme des dingues avec le Tree Of Life de Malick, qui faisait partie de la même projection cannoise de cette année. Ce reflet de Von Trier dans Malick est proprement stupéfiant de proximité tout au long du film, et je reste étonné que personne n’en ai fait mention dans la presse – en tout cas je ne l’ai lu nulle part.
Bon, l’ouverture. Okay, c’est livresque, ça vous étale du Gombrich en quatre-cent-mille dpi avec projo numérique, ça se laisse regarder poliment, mais on se demande si cette affectation, quelque peu démonstrative, ne va pas verser dans le kitsch et le prétentieux. En fait, on fait bien de se le demander assez rapidement, sinon on se surprend à le penser alors qu’il est déjà trop tard pour quitter la salle. En tout cas on pense très fort à Malick, et on se dit que Von Trier se fait bête à vouloir faire l’ange.
L’histoire commence. Chapitre un. La scène du mariage. Devinez quoi qu’il peut-il donc se passer quand un Von Trier filme un mariage ? Bingo. Quand on est un mec ‘achement subversif, qu’on n’en peut plus de détourner les codes et de court-circuiter les normes, et bien on fait dans l’original : on imagine un truc complètement nouveau en filmant une fête ruinée par une ambiance de merde avec règlement de compte familial, et mariée qui se fait sauter derrière un buisson par quelqu’un d’autre que son mari pendant la soirée. C’est inédit, c’est totalement imprévisible, c’est totally jamais-vu, c’est ultra-dérangeant. Je vais pas en dormir de la nuit, les mecs.
C’est tellement imprévisible que je me suis mis, du coup, à me faire des petits paris à moi-même. « Ah, il y a une scène avec des assiettes de soupe ; obligé, on va voir une assiette de soupe valdinguer. » Bingo. J’ai gagné un max de points, comme ça.
En fait, il se produit un « twist narratif » assez rapidement. Le chapitre du mariage accumule tellement d’invraisemblances dès ses premières minutes qu’on se voit obligé de recevoir ce film non comme l’œuvre d’un cinéaste, mais d’un vidéaste – et dans ma bouche c’est loin d’être un compliment. C’est à dire que la « suspension of disbelief » est tellement mise à l’épreuve qu’il faut définitivement renoncer à l’idée d’entrer dans une histoire. On entre, en réalité, dans une « installation », dans un « dispositif scénique », dans un « processus symbolique », dans un théâtre contemporain transposé sur un plateau de tournage. Vous savez, les trucs avec des gens qui ne rigolent jamais-jamais, et qui froncent les sourcils tout le temps car chaque mot est grave :
-Réveille-toi !
-Je suis en train de marcher dans la nuit au milieu de grandes traînées de laine.
-Il y a du pain de viande pour le dîner.
-J’aime l’automne.
-Qui veut un café ?
-Moi aussi j’aime l’automne.
-Avec deux sucres.
Putain, c’est d’un pénible. C’est aussi pénible que c’est convenu, en fait. Bon, mais on n’est pas dans le cinéma. On est dans la vidéo, dans la photographie, dans la déambulation d’acteurs sur un plateau d’interaction rôle-caméra qui renvoie au spectateur le semios postmoderne du paradigme traumatique mort/vie, tu vois. Aucune cohérence dans la temporalité, dans l’espace, et dans les relations humaines entre les personnages. C’est une tragédie qui se veut grandiloquente et conceptuelle, mais en fait c’est juste chiant et très adolescent dans le discours « la société c’est trop nul, les gens en fait dans la vie ils sont hypocrites ».
Bon, on parlait de Malick. Oui, parce que chez Malick comme chez Von Trier, ce qui se passe ici-bas et ce qui se passe dans le cosmos sont liés de très près. Sauf que chez Malick on causait du sens de la Vie. En miroir parfait, chez Von Trier c’est l’insignifiance ultime, et l’incapacité fondamentale d’aimer la lumière. En fait, ce qui m’énerve chez Von Trier, ce n’est pas tellement son côté arty-à-la-con : c’est surtout son refus catégorique de sortir du rien et de voir autre chose que de la nuit noire partout où son regard se pose.
Le chapitre deux nous apprend que voir Kirsten Dunst à poil présente l’intérêt de réveiller le spectateur pendant une minute et demi. Et surtout que le prix d’interprétation aurait franchement pu être attribué à la mère Gainsbourg – que je ne porte pourtant pas particulièrement dans mon cœur, mais qui fait montre d’un joli talent dans le rôle qu’on lui a confié. On y apprend que la vie c’est nul et que la mort, bah,… euh, c’est un peu moins nul et que ça ouvre l’appétit. Cool.
Tout cela est énervant, poseur, cliché, stérile. Ah, encore un détail qui m’a passablement énervé pendant deux heures : je veux bien que les techniques de capture du son soient ultra-performantes, mais là faut arrêter. On entendait tout ! Le moindre de bruit de salive entre les dents quand ça parle ou que ça embrasse, on entendait le moindre bruit de glotte qui glapit, le moindre gargouillis d’estomac ! Pour un peu, on entendait même pousser les cheveux des acteurs et le bruit que fait le voisin quand il cligne des yeux.
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Chez Malick la Nature est le véhicule de la Création [relire « Correspondances » de Baudelaire]. Chez Von Trier, c’est un paganisme maléfique qui habite les astres, les bêtes, les forêts, les hommes. Étonnante sortie simultanée de ces deux films qui regardent inévitablement l’un dans l’autre avec une grande insistance, sauf qu’on ressent avec force et certitude combien l’un transpire la gloire et la vérité quand l’autre n’est qu’une errance à travers un désert d’ennui.
samedi 27 août 2011 at 5:48
Je vais de moins en moins au cinéma. Pourtant, à une époque, je tenais un rythme d’un ou deux films par semaine. Films trop nuls, trop misérabilistes, trop anti-conformistes obligatoires de pacotille. Ils sont à l’image de notre époque : produits de mauvais goût pour les masses inéduquées.
Regardez plutôt en DVD L’éventail de Lady Windermere, de Lubitsch.
samedi 27 août 2011 at 8:48
Je pense que Von Trier est encore plus surévalué que Tarantino, ce qui n’est pas peu dire. Quelle idée, aussi, d’aller voir un film qui affiche en même temps cette courgette humaine de Kirsten Dunst et la mocheté butée de Charlotte fille de…
samedi 27 août 2011 at 10:00
Pas du tout d’accord. Même si j’ai eu du mal à rentrer dans la première partie, j’ai trouvé ce film absolument magnifique et en suis ressorti sur les rotules. Bref, un film grandiose, que je ne regrette absolument pas d’avoir vu (même si j’ai moi aussi préféré Tree of Life).
samedi 27 août 2011 at 11:28
Vous le chercher aussi !!
Allez voir plutôt Captain America, au moins vous savez ce que vous allez voir, difficile d’en ressortir déçu….
samedi 27 août 2011 at 2:48
Permettez-moi de jouez les avocats du diable Trier et de proposer une autre perspective sur ce film qui, selon moi (et ce n’est qu’un avis parmi d’autres, parfaitement subjectif) est aussi profond et intelligent que celui de Malick.
Je dirais tout d’abord que ce film de Lars est absolument pas dans la provocation poseuse et le subversive. Le chapitre du mariage ne doit pas être comparé à un Festen, le but n’est pas de « choquer »: quand le sieur Lars veut choquer, ça donne du Antichrist ou du Breaking the Waves. Il faut d’avantage voir le chapitre du mariage comme une évocation – certes, pénible – de la vanité. Les clichés de la cérémonie, avec tous ses rituels factices – factices comme toutes ces poses sociales, ces constructions absurdes mais humaines, ces obligations infondées. Il s’agit plus d’une plongée dans l’étau des constructions humaines étouffantes, dans les règles qui asphyxient la mariée mais qui ne tiennent qu’à un maigre fil – qu’à la force et l’obstination aveugle du beau-frère, persuadé jusqu’au bout de sa raison, de ses calculs scientifiques. D’où le caractère pénible de ce chapitre. La fin du monde commence avec le délitement de la société et ses règles qui ne parviennent plus à tenir.
On est bien ici dans une perspective diamétralement opposée à celle de Malick. La foi d’un côté, chez l’américain, la certitude de la Grâce, la sérénité devant l’évidence de la Gloire du monde et de la vie. Chez le danois, c’est la perspective de l’échec patent de la Création, la fatigue de la conscience humaine au sommet de plusieurs millénaires de culture qui n’aboutissent qu’à cette immense mélancolie, cette aphasie devant une vie qui n’est que facticité du côté de hommes et violence sans raison du côté de la nature – d’un côté les peintures abstraites invivables, insoutenables de fausseté que l’héroïne renverse, mais de l’autre, une nature impitoyable. Ce n’est pas le côté poseur de l’artiste qui ne veut voir que du noir – la pose chez Lars Von Trier est plutôt dans la forme que dans le fond – c’est la situation de l’homme à l’heure ou « Dieu s’est retiré » pour reprendre le mot de Bloy : ne pas vouloir voir du noir, mais ne plus pouvoir supporter une vie trop vide de sens, prendre en compte que s’il y avait une création, elle a échoué.
Ce n’est pas une pose, c’est une incroyable détresse, une vraie incapacité à prendre part à un monde vidé – et donc une autre vision de la mort et de l’apocalypse : non pas la délivrance, mais la fin tant attendue, vouloir rien de plus que d’en finir, sans rien derrière, sans rien de plus.
Si on regarde ces deux films, on a deux superbes évocations de notre situation, au sommet de l’histoire, au bout de quelques millénaires qui ne nous ont pas vraiment apporté beaucoup intérieurement, spirituellement. Au contraire, je pense que pour la première fois dans son histoire, l’homme se retrouve devant une absence de perspective. Sa période faste n’est plus celle d’un âge d’or oublié et mythique, elle n’est pas non plus devant lui, au bout des « progrès », mais elle est là, juste derrière lui. Désormais, il n’y a plus que l’addition : une Terre défigurée, déformée, une vie sans sens, sans Dieu ni dieux, une fausseté généralisée, une immense fatigue, un immense épuisement après des siècles qui n’ont pas abouti – et plus prosaïquement, un système en crise, et des dettes colossales à éponger. Face à cela, deux attitudes, deux existences, celles de ceux qui ont la chance de sentir l’évidence de la Grâce, de la beauté du monde (Tree of Life) et ceux qui sentent que le sens est irrémédiablement absent, que tout a échoué (Melancholia). Il ne s’agit pas de savoir qui a tort et qui a raison – ce n’est pas une affaire de savoir qui détient la « Vérité », mais c’est un état, contre lequel on ne peut pas grand chose, une évidence du Cœur dirait Pascal – ou plutôt deux évidences toutes aussi difficiles à tenir.
samedi 27 août 2011 at 4:48
LVT, vous êtes un nihiliste et je préfère largement mon caviste !
samedi 27 août 2011 at 8:31
Et bla, et bla, et bla… Encore un film que je ne verrais pas, mais que je juge sans aucune gène. Truc pour bourgeois. Pour branlos. Et puis réchauffé en plus. Au final, Hollywood, même s’il produit surtout des gros navets depuis plusieurs années (en tant que geek, on ne peut manquer de s’attarder sur le cas Star Wars), a bien mieux compris l’utilité du cinéma: le divertissement. Le bon film qui va au delà du divertissement ne l’annonce pas, il amène naturellement la réflexion ou la contemplation, l’offre en niveau de lecture à ceux qui peuvent le recevoir. Le film « intellectuel », on s’assure qu’il garde un public snob en étant volontairement chiant. C’est donc forcément un film pauvre, quelles que puissent être ses prétentions. Un film est bon quand tout public le voit et en est satisfait, chacun à son niveau, chacun selon ses grilles de lectures. Sans cela, on se rattache seulement à une identité culturelle de la classe bourgeoise.
samedi 27 août 2011 at 8:35
Signalons qu’à mon sens un des films les plus politiques, High Noon (Le train sifflera trois fois) ne se donne absolument pas pour tel.
samedi 27 août 2011 at 8:56
Bon ben j’ai économisé mes sous pour le coup. j’hésitais mais maintenant. c’est réglé, merci Fromage.
Quant à Tree of Life, je persiste : c’est ennuyeux et beaucoup trop long.
Très jolie bannière, dis-donc.
dimanche 28 août 2011 at 1:50
Je suis allé voir « Captain América » , je ne fus point déçu par contre « La planète des singes, les origines » m’ a profondément ennuyé .
lundi 29 août 2011 at 8:49
Pour ma part, y suis allé pour le coté apocalyptique, la fin du monde spatiale promise ayant l’air alléchante…On sombre au final dans l’infiniment moyen, pour le paquet de raisons que vous avez évoqué. Le truc super intéressant du film est qu’il nous propose une fin du monde de science fiction dans un embalage dépourvu de technologie. Un huit-clos dans un cadre luxueux avec en toile de fond une menace nous dépassant. Intellectuellement c’est sympa, sorte de vertige, hélas tous les défauts genre « cinéma d’art » brisent irrémédiablement le truc.
lundi 29 août 2011 at 9:32
aaaaaaaah merci ! Je suis sortie de la salle juste après la scene de la salle de bain, jai cru mourir d’ennui, mais l’autre soir jai réussi à placer une phrase, qqun racontait son anniversaire surprise pourri et jai dit « pourri du genre Melancholia ? ». Phrase à tiroirs !
lundi 29 août 2011 at 9:46
Je plussoie la remarque de Mendoza.
mardi 30 août 2011 at 9:29
Ce film, c’est très exactement comme L’arbre de Vie, un truc que je n’irai jamais voir au cinéma. A dix euros la place (joies de la région parisienne), me faire volontairement suer à regarder un truc qui sans histoire et sans humour ? Autant revoir Les Trois Mousquetaires de Richard Lester. Au moins, il se passe des trucs et même mes neveux comprennent et se marrent. Que demande le peuple.
jeudi 1 septembre 2011 at 11:06
@ Gotgried, bien vu l’exemple. En effet, Star Wars est le film le plus politique que j’ai jamais vu, et qui ne s’annonce pas comme tel, bien qu’il l’assume avec une géniale évidence.
Mais bon, quand on pond de l’anticipation pour débuter sa carrière (TH1138), qu’on continue avec une évocation sociologique déjà désabusée et ringarde (American Graffiti), forcément.
Ceci étant placé, je me contre-fiche de Lars Von Trier comme de ma première chaussette. Les Hypocannes, ça me troue le cul (Wendeurs, Von Triste, Aldo Bovar, Tin Ping Guin ou Honoré Tam Tam). Seul Lynch trouve quelque indulgence à mes yeux salis d’étoiles jaunes. Holly Glory Wood Pecker.
jeudi 8 septembre 2011 at 1:16
Merci F+ , je ne me sens plus tout seul à désapprouver le danois.
Il essaie de faire des choses fines avec des éléments grossiers. Ça fait du mauvais cinéma. Du mauvais tout, à vrai dire. Il ne serait pas meilleur en peinture, en littérature ou en musique.
Ce qui m’embête le plus, c’est que l’action de Trier salit l’idée d’une certaine forme de cinéma mystique et/ou intellectuel.
lundi 12 septembre 2011 at 9:18
Je soutiens aussi le commentaire de Mendoza. Superbe film, par un grand artiste, qu’il est totalement erroné d’enfermer dans des clichés « arty » ou « fashion »; une personnalité complexe, absolument pas déterminée par les superstitions du moment, qui a été capable notamment de pondre une ode à la rédemption et au catholicisme en plein dans les années 90. Très loin de ce thème, pour moi, Melancholia est un film sur la dépression. Peut-être faut-il avoir été dépressif pour l’apprécier pleinement.
samedi 24 septembre 2011 at 9:51
Cher Monsieur Joncquez,
vous regrettiez il y a peu que les critiques ne soient pas plus interrogés sur Tree of Life et Melancholia, d’un point de vue disons « comparatif ». Je me permets de renvoyer à mon blog dans lequel je me suis essayé à un tel travail.
http://matthieuamat.blogspot.com/2011/09/tmalick-tree-of-life-lvtrier.html
Bien cordialement,
Matthieu Amat
samedi 3 décembre 2011 at 4:47
Revoyez donc « Le Bon, la Brute, et le Truand, le plus grand western catholique de tous les temps! L’homme pêcheur entre Celui qui lui veut du Bien, et le mal incarné.
vendredi 5 octobre 2012 at 9:11
D’accord avec FC (12 septembre 2011). Breaking the Waves est une ôde au catholicisme; la rédemption pour le pire des pêcheurs, par la grâce divine (les cloches du paradis qui sonnent à la fin du film). La folie (au sens psychologique de l’héroïne) de l’amour, incompréhensible pour la société humaine ( les protestants écossais, secs de coeur à force de refuser l’incarnation eucharistique) mais possible par Dieu. C’est sur que c’était trash comme film, mais quelle audace! Les autres films de trier sur ce sujet de l’absurdité du don (dancing in the dark et Dogville) n’ont pas cette puissance de démonstration d’un amour vainqueur, car Dieu n’y est plus convoqué. Ils tombent un peu à plat dans leur conclusion.
Pour wim wenders, voir quand même les ailes du désir et Land of plenty.
Je me garde toujours de penser que les films d’un réalisateur sont tous bons. Chacun d’eux est capable de grosse daube objective. Ça évite de tout rejeter ou accepter en bloc pour des considérations autres que cinématographiques.
Celui que je continue à boire comme du nectar: les tontons flingueurs. Les cadrages sont terribles, la photographie aussi, quant aux dialogues… Tout est dit.