Digue d’Arromanches. Le ciel est bleu, le vent souffle, les drapeaux claquent avec gloire en haut de leurs mâts. Août bat son plein. En contrebas de la promenade, sur la plage, des familles prennent le grand air, deux ou trois courageux osent la baignade parmi les roulements des vagues qu’on devine bien fraîches.

Un petit groupe retient mon attention. Des mains empotées s’empêtrent dans un petit cerf-volant tout neuf. C’est un joujou en plastoque fabriqué en Chine ou en Inde, le genre de gadget qui coûte quelques euros dans un bazar de plage et qui est fait pour être monté en deux minutes. Vous savez, ces trucs pour enfants qui arborent un Mickey Mouse souriant. Ça fait dix minutes que la jeune femme s’entortille dans son truc, elle ne s’en sort pas. Où est le gamin à qui est destiné l’engin ? Ah, il est là, à quelques mètres de sa mère. Il tripote des cailloux, fait des tas de sable, ramasse des coquillages, mille autres choses encore qui l’occupent avec joie. De toute évidence il a trouvé là des jouets passionnants, bien plus passionnants qu’un Mickey Mouse volant. La scène me fait sourire, ça cadrerait parfaitement dans un Jacques Tati. Vous savez, l’échec des plans modernes face à la spontanéité de l’enfance.

Tiens, je n’avais pas vu la deuxième bonnefemme, tenant la manette du cerf-volant pendant que la première s’excite toujours à tendre l’appareil sur des baguettes dont elle n’a manifestement rien compris au sens et à la fonction. Les essais d’envol sont évidemment désastreux ; les deux nanas essayent de s’accorder sur la façon de procéder pour le décollage, ça ne marche toujours pas, elles s’énervent. Je me dis que si le père était là, il aurait monté le Mickey Mouse en moins de deux, et l’après-midi à la mer se serait passé sans énervement. Les cerfs-volants, c’est pas des trucs de bonnefemmes. Elles n’y comprennent jamais rien. Et soudain je comprends. En réalité, cet enfant n’a pas de père, et les deux jeunes femmes sont ses mamans. Bon sang mais c’est bien sûr, ça crève les yeux ! Je redouble d’attention. Mais oui, c’est évident ! Je veux observer la scène jusqu’au bout.

Le joujou semble disposé à s’envoler. On fait rappliquer le gosse, on l’arrache à ses jeux, on le gronde parce qu’il se traîne dans le sable, on le somme de tenir la manette du cerf-volant. Évidemment, Mickey Mouse au sourire plastifié s’écrase lamentablement dans un fracas. Pauvre gosse, personne n’est foutu de lui donner un cerf-volant en état de marche. C’est pourtant pas sorcier, merde. Le spectacle me déchire le cœur. J’ai monté des centaines de cerfs-volants dans ma jeunesse, j’en ai même fabriqué moi-même avec des matériaux de récup’, ça me navre qu’on ne sache pas comprendre la simplicité de ces machins. L’enfant se désintéresse aussitôt de cette expérience et s’assied dans le sable. Coquillages, cailloux et algues sèches lui procurent immédiatement un immense plaisir. C’est sans compter sur l’obstination de ses mamans. Elles s’entêtent à vouloir absolument rentabiliser leur achat. Elles s’énervent davantage, s’emberlificotent encore plus, et finissent par se gueuler dessus. Elles ne cessent d’obliger l’enfant à quitter ses jeux pour le faire assister aux crashes successifs de l’engin. Ça pourrait être comique ; ça devient hyper glauque. Pauvre, pauvre enfant. À quoi bon venir à la mer si c’est pour lui interdire de se rouler dans le sable ? À quoi bon lui imposer des jeux dont le plaisir est rendu inaccessible par la maladresse de ses propres parents ?

À force de gesticulation stérile, les nanas se rendent compte qu’elles sont observées. Je m’éloigne, triste et écœuré. Le cerf-volant va probablement finir sa vie dans une poubelle, sans même avoir jamais volé. Allez, cassons-nous d’ici, c’est un spectacle à pleurer.

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