Au début, je croyais que c’était juste une mode qui passerait. Un gimmick journalistique. Un tic de l’époque. Un mot un peu trendy, un mot qui fait style, qui fait genre, un gadget qui épate. « C’est nauséabond« . « Monsieur Michu, vos idées sont nauséabondes« . Ou alors : « Avez-vous entendu les propos de Dugenou hier sur Antenne 2 ? Ce n’est plus de la polémique, là c’est carrément nauséabond ! »
Nous autres réacs, ça nous a bien fait rigoler pendant des années. C’est comme les HLPSDNH, les « Heures Les Plus Sombres De Notre Histoire » ; c’est devenu une expression tellement rabachée, tellement convenue, tellement bateau que les gens qui l’emploient encore se rendent complètement ridicules. C’est un peu comme les VDLR, les « Valeurs De La République » ; ou le PDDDLH, le « Pays Des Droits De L’Homme ». Le monde est constellé de catégories faciles et radotées à l’infini, de clichés, de collocations stéréotypées, notamment grâce l’intense usage qu’en font les journalistes. Ainsi, il y a des codes standardisés pour parler des familles de pensées. Il y a les Humanistes [qui se disent souvent « héritiers de la grande tradition de Montaigne »], les gens Engagés [« la grande tradition républicaine »], les Poil-À-Gratter [citer Molière, Voltaire et Coluche], les Trublions, les Polémistes, les Propos Controversés [c’est à dire condamnés par l’Église du Bien avant même qu’il y ait une rélle controverse], et, presque tout au bout de la longue chaîne qui décline les degrés du Bien au Mal, de la Citoyenneté au Nazisme, luit un obscur fanal nimbé de « relents » qui ne le quittent pas : c’est le monde du Nauséabond. Je me disais que ce mot finirait bien par lasser tout le monde, par s’élimer, par s’user, qu’on finirait par l’oublier, par en trouver un autre tout aussi imbécile mais qui au moins changerait le disque. Mais non. Le nauséabond dure, encore et toujours. Il fait recette, plus que jamais. Incroyable.
Tant de constance dans l’usage de ce mot nous force à nous poser des questions. Jusqu’à présent, le nauséabond était un ornement rhétorique, une pirouette dans un discours, une façon de dire « Je n’en parlerai même pas tellement ça me dégoûte : pouah ». Un petit mot qui, discrètement, permet à votre auditoire de vous placer sur l’éventail politique : vous ne vous laissez pas berner par les sirènes du populisme, vous. Vous avez de la droiture, vous êtes encore capables de vous indigner, vous. Jusqu’à présent, le nauséabond faisait partie des « petites phrases ». Le genre qui passe au zapping de Canal+, quoi. La gloriole des dévôts. L’argumentation politique à portée de l’idiot du village. « Il est scandaleux de constater combien certaines idées nauséabondes ont encore cours, alors que nous sommes au XXIème siècle ! »
Souvenez-vous de la grande foire électorale de 2002, où fusèrent par milliers les redondances du nauséabond. Le geste du nez bouché acquit ses lettres de noblesse. La parade des pinces à linge sur les narines connut un immense succès auprès des gens bien. « J’irai voter en me bouchant le nez ! » a-t-on entendu en boucle. La dérision de la gauche, au cœur de sa propre déroute, ne trouva d’autre réponse que celle de la moue dégoûtée.
Dorénavant, grâce à la dernière campagne de SOS-racisme, le nauséabond jouit d’un vrai statut. Il n’est plus seulement prononcé au hasard des intervious et des offuscations officielles des gens bien, il est maintenant écrit en gros sur des affiches. Il est devenu une cause nationale. L’ennemi public. Un nouvel article du catéchisme républicain, de façon officielle. La chasse au nauséabond est ouverte !
Forcément, s’il existe des idées qui puent et dont il faut se méfier, nous avons le devoir moral de n’honorer que les idées qui sentent bon. Ne vous fiez pas seulement à votre raison : suivez votre nez. Vos conclusions sur tel ou tel aspect de la vie auront beau être rationnelles, objectives, circonstanciées, factuelles, vérifiées, calculées, ce n’est pas cela qui les empêchera d’être nauséabondes ! Et d’ailleurs, il va falloir exercer votre nez : le nauséabond ne possède pas de définition claire. Comme aujourd’hui la liberté d’expression ne peut plus exister que sous la forme du sous-entendu, vous aurez besoin d’entraînement pour déceler le véritable sens du nauséabond. Et, tout bien considéré, le nauséabond ne fait pas vraiment l’objet d’un article du catéchisme républicain : il EST l’article en soi. « L’homme qui recherche le Bien doit se détourner du nauséabond ». Ne cherchez plus avec votre raison : c’est votre cœur, gonflé de citoyenneté, qui doit vous guider. Le monde doit sentir bon, le monde doit sentir propre ; il faut éliminer, récurer, décontaminer, dératiser.
Fichtre, voilà qui est fourbe. Si ça se trouve, sans le savoir, et en toute bonne foi, j’ai des idées nauséabondes ! Voyons voyons ; quelles sont, parmi mes idées, celles qui sentent bon ? Euh… Les statistiques ethniques ? Mais oui ! Pour enfin établir le constat de la discrimination à l’œuvre dans la société ! Là, je pense que je suis dans le vrai, dans le qui-sent-bon ! Ah oui mais non. Comment établir les catégories ethniques d’une telle enquête ? On va compter les Noirs, les Arabes, les Blancs, les Asiatiques ? Et les métis, et les Roms ? Et les juifs ? Les juifs sont-ils une ethnie ? Et à partir de quel degré de métissage serait-on catégorisé dans « Blanc » ou dans « Noir » ? Il faudra mesurer les ascendances ? Et si les statistiques ethniques sont mises en place, rien n’empêchera qu’on se mette à compter la proportion de Noirs, de Blancs, d’Arabes et autres dans les chiffres de la criminalité… Ça commence à devenir très très nauséabond…
Trouvons autre chose. Quelque chose qui sente vraiment bon. Ah je sais : l’immigration enrichit notre pays ! Voilà une idée pleine de doux parfum ! Voyons voyons, et si je soumets cette idée aux chiffres, aux faits, ça nous donne… Euh, non, ça ne va pas du tout ; si j’établis un calcul du coût de l’immigration par rapport à ce qu’elle rapporte, et que je prouve que l’immigration est un fiasco économique et social, mes conclusions seront nauséabondes ! Zut zut zut, qu’est-ce qui me reste ? Je sais : je vais interdire aux religions de s’afficher dans l’espace public, lequel doit rester le lieu de la neutralité absolue en matière de croyances. Hop, je vous interdit une messe en plein air ! Ha ha ! Le monde commence à sentir bon ! Hop, je vous renvoie les cathos dans les cordes avec tous mes petits papiers qui parlent du Sida et de la pédophilie ! De l’air frais ! Hop, je vous interdit la burqa dans tout le pays et les prières dans les rues de la Goutte d’Or ! Triomphe de l’eau de rose ! Gloire de l’eau de Cologne ! Euh… Ne serais-je pas en train de stigmatiser une minorité et d’insulter une religion d’amour et de tolérance, là ? Merde merde merde, mes idées commencent à sentir mauvais ! C’est toute la richesse de la diversité que je dénigre ! Oulàlàlà ! La gaffe ! Ça ne sent pas bon !
Bon, euh… « Black-Blanc-Beur », c’est une idée qui sent bon, ça ! Le vivre-ensemble, ça sent bon ! La République Solidaire, ça sent bon ! Certes, c’est une idée qui sent bon tant qu’il n’y a pas de réglements de comptes entre communautés. Ce qui arrive, euh… très souvent. Mais chut ! Ne laissons pas le réel empuanter nos idéaux ! Car c’est uniquement ceux-là qui comptent vraiment dans le monde de demain !
mardi 22 juin 2010 at 2:19
Tudieu ! voilà un billet qui pue bon !
(Et puis, hein, quand on s’appelle Fromage…)
mardi 22 juin 2010 at 3:42
Ces morceaux de papier hygiénique, j’ai tout d’abord cru qu’il s’agissait de tranches de jambon… si, si, regardez bien !
Bien évidemment, je me suis immédiatement offusqué devant cette nouvelle attaque en règle de nos produits de terroir, mâtinée d’un douteux clin d’oeil aux mahométans.
Mais sans doute cela montre-t-il davantage à quel point j’ai les idées mal placées… en effet, qui pourrait soupçonner une association « reconnue d’utilité publique » (TM) comme SOS Racisme de faire du clientélisme ethnico-religieux ?
A l’évidence, nulle personne de bonne foi.
mardi 22 juin 2010 at 3:45
« Ne laissons pas le réel empuantir nos idéaux » : le réel n’a plus cours; nous vivons dans un monde abstrait où les idées n’ont pas fonction de décrire ou de permettre de discuter du réel. Si elles n’ont pas la bonne odeur elles sont disqualifiées, seule l’élégance (conformité à la doxa) compte quel que soit le signifiant.
Chers visiteurs, allez voir Libé (journal républicain) :
http://www.liberation.fr/societe/0101642469-pour-les-quatre-de-villiers-le-bel
Dans vingt minutes les Fofana-fofana vont battre (s’il y a justice) l’équipe Black-black-black qui s’est arrogé le droit de représenter mon pays;
mais cela se passera sans moi, ni Finkie.
mardi 22 juin 2010 at 6:42
Conclusion banale mais texte vraiment balaise ^^
mardi 22 juin 2010 at 8:52
Qui sente ?
mardi 22 juin 2010 at 8:55
Excellentissime !
Mais après la campagne de nos (vrais) fromages bleus, il faut du nez pour s’y retrouver !
mardi 22 juin 2010 at 9:40
L’affiche ,
4 chomeurs qui ont réussi le casting
d’une agence parisienne de com …
(minable)
mardi 22 juin 2010 at 10:37
Canard SOS-racimse blocs parfumants:
Grâce à sa nouvelle technologie, le bloc parfumant triple action Canard SOS-racimse diffuse la même quantité de parfum concentré à chaque fois que vous tirez la chasse. Du premier au dernier jour, à chaque chasse d’eau, le bloc cuvette triple action agit dans la cuvette :
– Il nettoie et fait briller l’email de la cuvette multiculturaliste
– Il prévient la formation du tartre d’eztrêmdroâte
– Il désodorise et parfume agréablement la pensée dominante en supprimant toute idée nauséabonde
mardi 22 juin 2010 at 10:58
Le vaporisateur de parfum CitoyenPlus parfume délicatement votre intérieur républicain en un instant.
Quelques vaporisations sur votre plateau de télévision préféré ou sur votre journal et une agréable sensation parfumée et citoyenne supprime toute idée nauséabonde.
Son parfum fleuri-transparent à base d’essence de noix de coco munistes présente des touches subtiles de thé à la menthe.
mardi 22 juin 2010 at 11:27
Bon et sinon où dois-je cliquer si veux commander un t-shirt ou un étendard puant frappé de têtes de mort et fleurdelisé ?
mercredi 23 juin 2010 at 5:32
AAhhhhh… Ces doux relents de fromages…. Mr Fromage a beau jeu de jouer les nez délicats : il avait une longueur d’avance avec son moisi blog qui pue tellement bon!!! On en redemande tout simplement, comme un bon roquefort trés fort…
isha com4 : d’accord avec toi : les notes de fin de nez manque d’une note épicé apres de telles bouquets d’aromes… C’est pas grave, c’est bon quand meme.
mercredi 23 juin 2010 at 9:39
Ce qu’il y a d’amusant dans cette référence à l’odeur, « l’autre pue », c’est justement que c’est une position traditionnellement qualifiée de « raciste ». C’est le « raciste » qui pense que l’autre ne sent pas bon (voir littérature populaire de la fin du XIX ou début XX°).
Qualifier l’autre de « nauséabond » est donc bien une attitude « raciste ». Et celui qui est qualifié ainsi est victime de racisme.
mercredi 23 juin 2010 at 10:24
Bravo Anne.
Donc, un racisme stigmatisant l’anti-raciste.
Votre propos est donc absolument nauséabond :
traiter de raciste l’action de sainteté, le militant anti-raciste.
Amen.
mercredi 23 juin 2010 at 10:30
Merci d’évoquer le souvenir de cette mascarade « hygiénique » de 2002, qui s’était également traduite par l’idée, lancée par Canal+ je crois, de voter Chirac avec un gant : « allez, dimanche on se fait violence, on vote tous Chirac, ouh la la ça nous fait mal parce qu’on a le coeur à gauche, alors on met un gant pour pas se salir ! »
J’ajouterais à votre analyse du nauséabond qu’il ne s’agit pas tant de « suivre son coeur », d’exprimer ce qu’on ressent en soi, que d’afficher au contraire une posture publique, même si on ne la pense pas complètement. C’est un « positionnement », une déclaration qui n’a de sens que parce qu’elle est destinée au regard public. Il s’agit de montrer patte blanche : « regardez dans quel camp je suis ! ».
On peut faire un parallèle avec l’obsession hygiénique des jeunes ados : vous savez, à un certain âge, chacun se targue de se brosser les dents et de ne jamais sauter la douche quotidienne. Chacun traque le prof ou l’élève « qui pue », chacun surjoue son dégoût par rapport à cela. Là encore, cela ne veut pas dire qu’on est véritablement regardant sur l’hygiène, mais qu’on veut s’afficher comme « propre » aux yeux des autres.
mercredi 23 juin 2010 at 12:47
AnneR m’a coupé l’herbe sous le nez (euh, le pied) en mettant le doigt sur le furoncle pestilentiel au centre du problème, mais je vais en remettre une couche parce que c’est quand même ahurissant.
Une organisation quasi-officielle, fondée par Saint François Mitterrand et subventionnée par nos impôts, qui a porte ouverte dans les ministères et micro ouvert sur les plateaux de télé, en arrive maintenant à écrire noir sur blanc qu’il y a des idées qui puent.
Jusqu’à présent, ce type de réflexions était limité aux blogueurs de troisième ordre et aux politiciens en mal de petites phrases. Là, ça devient le thème principal d’une campagne de propagande politique, payée avec l’argent pris de force dans notre poche.
Des idées qui puent, cela ne veut strictement rien dire. On peut juger des idées fausses ou nocives, mais puantes ?
Les mêmes qui prenaient des airs de pucelles outragées quand ils entendaient Chirac parler du bruit et de l’odeur bien réels, effectivement produits par des familles immigrées faisant du tapage et envahissant le voisinage avec des odeurs de cuisine incommodantes, ont le culot maintenant de dire que nos idées puent.
Et, bien entendu, la figure réthorique du Noir qui pue est depuis longtemps le symbole de l’horreur raciste.
Mais ces gens-là, les anti-racistes patentés qui ont la carte barrée du tricolore républicain et citoyen, eux, ils ont le droit d’être racistes avec leurs adversaires politiques, et de prétendre que leurs idées puent au lieu de les réfuter « à la manière de Montaigne, de Voltaire et des Lumières ».
Où l’on voit qu’une fois de plus, la gauche accuse autrui de ses propres tares, pour mieux les faire oublier.
SOS Baleines a pour but de sauver les baleines, SOS racisme a pour but de sauver le racisme.
mercredi 23 juin 2010 at 3:52
Ah on en a trop parlé, je ne peux m’empêcher de vous repasser cette scène d’anthologie à pleurer de rire, cet ilot d’anti-politiquement correct parmi une carrière politique largement vouée à l’inaction conformiste.
On peut tout reprocher à Chirac, mais au moins il nous aura bien fait marrer…
mercredi 23 juin 2010 at 5:39
Chevreuil,
Ça peut se faire, j’étudie la question.
mercredi 23 juin 2010 at 10:53
Chic !
Quelque chose de baroque, de flamboyant, avec tout un décorum autour des armoiries…
Pdmp avait fait son ancien fond de blog avec des têtes de mort entourées d’une luxuriante composition de son cru dans mes souvenirs. Magnifique !
A vous deux vous feriez un carton…
jeudi 24 juin 2010 at 2:21
Je vais finir par me demander si c’est vous qui reprenez les concepts de SOS Sent Bon ou SOS Sopalin qui reprend vos idées!
Décidément, on ne s’y retrouve plus. Pas étonnant que çà pue si on tout le monde se retrouve cul par dessus tête!
jeudi 24 juin 2010 at 11:08
Merci !
http://groups.google.fr/group/louisxviiinfo3-/web/nouvelle-tribune-du-fou-du-roi-louis-xvii?msg=ns
dimanche 27 juin 2010 at 1:57
une citation de l’immense frédéric dard:
« accré les gars ça pue bon ! tout ça s’ra p’têt’ changé en merde mais c’est pas pour tout d’suite! »
il s’agit-vous l’avez reconnu- de bérurier appercevant au loin un buffet gratuit
de nos jours les gamins disent « open bar »
jeudi 2 septembre 2010 at 8:26
Meme ligne : http://lafrancemoisie.blogspot.com/