L’Amérique est un pays neuf. Pas seulement historiquement, pas seulement parce qu’il est récent ; j’entends par neuf le fait qu’il est en permanence son propre renouvellement, sa propre redéfinition, sa propre invention. Saviez-vous que les États-Unis n’ont pas de langue officielle ? L’Amérique est un pays inventé, c’est en cela qu’il est moderne. C’est ce qui le rend détestable à de nombreux égards, c’est ce qui le rend infiniment admirable à de nombreux autres. Grand classique, on le juge arrogant, inculte, belliqueux, et matérialiste.

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Perchée sur le toit d’un immeuble au milieu de SoHo, une affiche géante fait la promotion d’une marque de pantalons en toile de tente : « This country wasn’t built by men in suits« . Au-delà du slogan un peu racoleur, émerge une vérité profonde : si l’Amérique est ce qu’elle est, elle ne le doit qu’à elle seule. Elle ne le doit qu’à la seule volonté des affamés et des ambitieux qui se sont rués vers la Liberté éclairant le Monde, vers les prairies vierges, vers l’or, vers l’ouest, vers la West Coast, vers l’espace toujours plus intersidéral. Arrogante ? Mais à qui peut-elle bien avoir  de comptes à rendre ? Qu’ont fait les millions de pionniers débarqués là en quête d’un monde meilleur ? Ont-il attendu que la Providence les couvre de cadeaux ? Non. Le monde meilleur, la vraie Providence, c’est celle qui autorise chacun à jouir des fruits de son propre travail. Rien de nouveau depuis « Le laboureur et ses enfants » en somme : un trésor est caché dans la terre. Les Américains ont épousé le devoir de la travailler.

Inculte ? Laissez-moi rire ! Avez-vous vu l’état de l’Éducation Nationale ? Avez-vous constaté le degré d’aliénation idéologique de nos collégiens ? Avez-vous pris conscience des progrès de l’ignorance historique et artistique dans laquelle baignent nos enfants – et nous mêmes ! – ?
Clovis est en train de disparaître des programmes scolaires ! Clovis ! Emmenez vos gosses au musée, combien savent-il identifier de scènes mythologiques, bibliques ou historiques ? Une ? Deux ? Zéro ? Connaissez-vous par cœur un seul poème ? Une seule comptine ? Un seul conte pour enfant ? Louis XV est-il le fils, le petit-fils, l’arrière-petit-fils de Louis XIV ? Quand j’entends Éric Besson expliquer que la France n’existe pas et n’a pour ainsi dire jamais existé, je crois qu’on est très mal placés pour donner des leçons d’inculture aux Américains. Nous autres européens jouons dans la catégorie « psychiatrie lourde » question culture. On dépasse très largement le revolver d’Hermann Göring. On est dans le suicide massif, là. Dans le napalm. Dans la bombe à neutrons du docteur Folamour.

Si la République est championne du monde de la dissolution de l’Histoire et de la révision des épisodes encombrants, l’Amérique, elle, vit avec ses erreurs, assume son passé, ne rougit de rien. Réécoutez le discours de John McCain lors de sa défaite face à Obama, ça en bouche un sérieux coin. L’Amérique n’escamote pas ses défaites ; voire, elle en rit. En République, l’humour consiste à dénoncer le nazisme et rire contre les inégalités. Quand une caméra de journaliste capte une bonne grosse blague de potache tombant de la bouche d’une personnalité, les hallebardes antiracistes exigent un lynchage public. Le pays de la gaudriole a complètement disparu sous le plâtre dégueulasse et pudibond de la théocratie socialiste. Quand je pense qu’il y a quinze ans on riait, goguenard, du politiquement correct qui les engluait. Well, take a look at yourself, connard. Depuis les Inconnus, ici c’est le désert question rigolade. On a du chemin à faire pour rattraper South Park.

Belliqueuse ? Mais c’est la guerre ! It is war ! Nous sommes en guerre ! Ici, maintenant, là, tout de suite ! Wake up ! S’il y a bien une  vérité à laquelle l’Amérique n’a pas renoncé, c’est celle que le Mal existe ! Le Mal n’est pas un concept psychanalytique ou une antiquité anthropologique de l’ordre des « croyances », non ; le Mal est une réalité au cœur du monde. On peut reprocher tout ce que vous voulez aux Amerloques, leur paranoïa certaine, leur naïveté devant la complexité des communautés millénaires qui s’entretuent, mais leur combat est sincèrement motivé par la volonté de triompher des satrapes, des escrocs et des mafieux qui osent insulter la plus suprême des vertus : la Liberté. Quand un Français meurt en Afghanistan, sa femme fait un procès à l’État parce que la guerre met en danger la vie des gens. [Je vous le dis : la république française est une concentration de cas de psychiatrie lourde]. Honnêtement, personne n’a la moindre idée de ce qu’on fout en Afghanistan. Une histoire de pétrole ? Bof. Oui, non, peut-être, théorie du complot, hégémonie américaine, Otan, dollars, talibans, victoire des drouadlom, c’est confus. Mais quand un G.I. meurt au même endroit, il reçoit les honneurs pour avoir offert sa vie en sacrifice pour que des hommes à 10.000 kilomètres de là puissent vivre libres. [Je réécris le mot en gras, on a perdu l’habitude de le lire sous nous latitudes : sacrifice]. Ses enfants sont fiers malgré la douleur, sa femme est en pleurs mais elle est debout. L’héroïsme ne se paye pas en carambar, et seuls des héros bâtissent une nation.

Matérialiste ? C’est vrai : l’Amérique possède le visage du consumérisme, de la vanité, du télé-achat, des pick-ups géant qui crament quarante litres au cent. Mais vous connaissez les clichés : « terre de contraste », « paradoxe américain ». Car c’est aussi un pays où les gens qui se déclarent athées sont très rares. C’est un pays qui ne se fonde pas sur la Redistribution-Des-Richesses – qui est quand même le principe politique le plus matérialiste qu’on puisse inventer – mais sur la Liberté, sous le regard de Dieu himself. J’adhère à l’analyse de Maurice Dantec quand il dit que les États-Unis sont en réalité une monarchie constitutionnelle dont la Constitution est le Monarque. La République française se dissout et se refonde en permanence [nous en sommes déjà à la Vème], les États-Unis possèdent une Constitution quasiment immuable, qui a un véritable statut de Souverain. [Encore un mot que je réécris en gras : Souverain. Ça va, pas trop mal aux yeux ?].

Matérialisme toujours : la face cachée du libéralisme américain est trop souvent tue : c’est celle de la Reconnaissance. On ne verra jamais un Français-qui-a-réussi reverser 15.000 dollars à l’école de son enfance pour exprimer sa gratitude. On en voit tous les jours en Amérique. Là où la fiscalité écrase le porte-monnaie et la joie de vivre, on passe son temps à arnaquer, grapiller, gruger, détourner. La raison en est simple : en Amérique la Liberté offre un véritable champ d’action à la Charité ; en France la Solidarité Obligatoire alimente le sentiment de racket, d’injustice et d’impuissance. Je sais, vous m’avez connu bien plus virulent à l’égard du libéralisme. Je n’ai pas changé d’avis, simplement j’en ai pris une mesure un peu plus précise.

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