Depuis la veille, la boucherie révolutionnaire fait rage dans les prisons de Paris. « Toute espèce de mesure modérée est inutile, déclare Danton. La colère du peuple est à son comble, il y aurait du danger à l’arrêter. Sa première fureur assouvie, on pourra lui faire entendre raison. »

Le massacre touche principalement le clergé qu’on veut liquider, mais à peu près toutes les catégories de la population y passent : prêtres, aristocrates, voleurs, détenus pour dettes, filles publiques, artisans, manœuvres, jusqu’à des enfants.

À la prison de la Force, le matin du 3 septembre 1792, vers dix heures, la princesse de Lamballe est tirée de son cachot. Couchée, malade, elle était épouvantée des bruits qu’elle entendait.
– Levez-vous, madame, il faut aller à l’Abbaye, lui disent les deux gardes nationaux envoyés pour la chercher. La malheureuse répond par ses mots ingénus :
– Prison pour prison, j’aime autant celle-ci.
On la presse. Tremblante, la tête perdue, elle s’habille et suit les gardes.

Qui êtes-vous ? lui demande Hébert, accoudé à sa table.
– Marie-Louise de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe, murmure-t-elle, et s’évanouit.

On l’assied, on lui fait reprendre ses sens et l’interrogatoire continue. Il y a dans les juges, il y a dans la foule qui l’entoure des hommes qui, payés par le duc de Penthièvre, son beau-père, voudraient la sauver. On lui demande ce qu’elle connaît des complots de la cour.
Elle balbutie :
– Je n’ai connu aucun complot.
– Faites serment d’aimer la liberté et l’égalité ; jurez haine au roi, à la reine, à la royauté.
La menue, timide créature qui, abritée en Angleterre, n’est revenue en France que pour partager les dangers de la reine, sa maîtresse et son amie, se redresse dans sa robe froissée.
– Je ferai facilement le premier serment, je ne puis faire le second, qui n’est pas dans mon cœur.
– Jurez donc, lui souffle quelqu’un, ou vous êtes morte.
Elle ne répond pas, se détourne et cache son visage dans ses mains.

Hébert alors, levant sa tête sèche et dure, prononce le mot fatal :
– Élargissez madame.

Deux hommes la prennent par les bras et l’entraînent dans la cour.  Ils lui recommandent de crier « Vive la Nation ! » quand le guichet s’ouvrira. Le guichet s’ouvre. Devant l’amas des cadavres dont la plupart sont déjà dépouillés, elle ne peut que crier :
– Fi ! l’horreur !

Un jeune homme, un garçon perruquier, dit-on, soit par maladresse, soit avec intention, lui fait sauter son bonnet d’un coup de pique et ses longs cheveux se répandent sur ses épaules.

Quelques-uns prétendent qu’elle avait caché dans sa coiffure un billet de la reine et que le bonnet s’envolant, sa riche chevelure se dénouant, le billet tomba entre les mains des meurtriers. D’autres racontent que le fer de la pique lui avait effleuré le front, et que le sang coulait. L’une ou l’autre cause excite la fureur de la meute.

Un sabre s’abat sur son cou. Elle est percée de plusieurs coups de piques. On la dévêt entièrement. Elle reste ainsi deux heures, étalée nue au coin d’une borne, livrée aux actes de barbarie dégoûtante de la foule.  Un peu plus tard, on lui coupe la tête, on lui arrache le cœur. Sa tête est promenée au bout d’une pique, son corps est traîné par les jambes sur des kilomètres jusqu’à la prison du temple. Là, sous les fenêtres de la cellule de la famille royale, ses assassins agitent un lambeau de sa chemise ensanglantée et brandissent la tête de la princesse. Son cadavre mutilé est ensuite promené à travers les rues, deux jours durant.

PrincesseDeLamballe

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